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Fiche de lecture #17 – Un siècle pour l’Asie, L’Ecole Française d’Extrême-Orient 1898-2000 – Catherine Clémentin-Ojha et Pierre-Yves Manguin – Les éditions du Pacifique – 2001

« Quels que soient ses insuccès dans d’autres domaines, l’œuvre de la France en Orient aura été marquée par sa sympathique compréhension dans le domaine de la culture. Peu d’institutions peuvent montrer autant de résultats désintéressés que l’Ecole Française d’Extrême-Orient à Hanoï. Son œuvre magnifique de restauration de conservation des monuments, le rassemblement, la publication et l’interprétation des inscriptions et autres activités connexes qui ont été poursuivies par les savants français sont autant de titres, pour elle, à la gratitude des peuples de l’Asie »

K.M Panikkar, historien et militant anticolonialiste, première ambassadeur d’Inde à Pékin.

Les auteurs :

Catherine Clémentin-Ojha : spécialiste de l’anthropologie religieuse de l’Inde. Membre de l’EFEO depuis 1991. Ses recherches portent sur les transformations de l’hindouisme à travers l’histoire, à sa pratique missionnaire ainsi qu’à ses relations avec la société de caste indienne. Les chrétiens indiens et les institution ecclésiales sont également un de ses sujets d’étude.

Pierre-Yves Manguin : historien et archéologue spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Membre de l’EFEO depuis 1970. Ses principaux sujets de recherches concernent l’aspect maritime du Vietnam et de l’Asie du Sud-Est insulaire. Depuis 1996, il est notamment directeur de la mission archéologique du delta du Mékong qui s’attache à l’étude des sites de l’Etat du Funan (état ayant existé entre le Ier et le VIIème siècle avant son absorption par l’empire Khmer d’Angkor).

Le livre :

Un siècle pour l’Asie, L’Ecole française d’Extrême-Orient 1898-2000 est un ouvrage commémoratif du siècle d’existence de l’EFEO. Selon les termes du directeur d’alors et des auteurs, le but de l’ouvrage est de rompre avec le paradoxe selon lequel l’Ecole jouit d’un nom et d’une réputation prestigieux mais reste méconnue du grand public et, parfois, de certains universitaires.

               Pourtant, comme expliqué au fil des pages, l’EFEO fut et demeure une institution originale dans le paysage universitaire français à la fois pour son ancienneté et pour le fait d’avoir été créée et implantée directement en Asie. Elle constitua et constitue un point de passage obligatoire pour les chercheurs orientalistes français voir même mondiaux. De fait, « l’orientalisme » – l’étude des peuples et culture orientaux – bien que faisant l’objet d’étude en France depuis la seconde moitié du XVIIème siècle, sortit grâce à elle de son statut marginal pour s’épanouir directement sur le terrain et s’affirmer comme une discipline à part entière.

               Il faut dire que sa naissance se trouve à la croisée des chemins de la volonté de plusieurs savants indianistes (spécialisés dans l’étude de la culture indienne) et de l’affirmation de la souveraineté française en Indochine à l’époque où les puissances coloniales européennes sont en concurrence dans tous les domaines. Aussi la raison d’être de l’école est triple :  1) rompre avec l’orientalisme « de cabinet » essentiellement fondé sur un savoir livresque, 2) accumuler un maximum de savoir afin d’administrer au mieux les nouveaux sujets coloniaux et de se poser en garant de la conservation des bâtiments anciens ainsi que des antiquités au nom de la « mission civilisatrice » et 3) faire rayonner l’influence française en Extrême-Orient.

               Bien que ne prétendant pas produire une critique historique des travaux de l’EFEO, l’ouvrage dissémine via l’échelonnement des dates les plus importantes plusieurs éléments permettant au lecteur profane de se figurer comment et dans quelle mesure l’Ecole put et continue de prendre en charge ces missions au grés des circonstances, devenant très chaotiques en Indochine française après la seconde guerre mondiale. Le livre suit ainsi un plan linéaire présentant d’abord un historique de l’Ecole (Les années indochinoises suivies du Redéploiement) pour ensuite se focaliser sur plusieurs points d’excellences de cette dernière à savoir l’Archéologie, la Philologie (étude d’une langue et de sa littérature à partir de documents écrits. C’est une combinaison de critique littéraire, historique et linguistique) puis l’étude des Religions et des sociétés asiatiques.

Une matrice d’études asiatiques:

               S’agissant du premier point que nous avons évoqué précédemment, la rupture avec les méthodes littéraires qui avaient jusqu’alors cours va s’instaurer dès les premières années d’activité de l’école étant donné qu’avant les études à proprement parler, l’école est, comme nous le verrons ci-après, contrainte par sa fonction administrative à dresser un inventaire des antiquités et lieux d’intérêts sur le territoire indochinois. De ce fait, la plupart des savants sont amenés à travailler sur le terrain et à manier des outils intellectuels n’appartenant pas à leur formation initiale. Plusieurs membres de l’EFEO devinrent ainsi des « broussards » ou furent témoins ou acteurs des événements marquant de l’histoire comme Paul Pelliot lors de la révolte des boxeurs à Pékin en 1900 ou les savants officiant au Cambodge jusqu’au déchainement de violence aveugle des Khmers Rouges. Ainsi, outre l’immersion effective qu’elle permet, l’Ecole constitue un lieu de synergie entre les spécialités (archéologie, linguistique, épigraphie, histoire de l’art, etc…), permettant des réflexions plus fines sur des sujets d’importance.

Réfugiés cambodgiens occupant les temples du site d’Angkor après avoir fuit les Khmers Rouges.

C’est notamment ainsi que, partant des études de la langue et de l’épigraphie indienne et chinoise, la vision orientaliste de l’Indochine voyait chaque communauté humaine présente sur le territoire comme un mélange culturel présentant plus ou moins de traits de la culture chinoise ou indienne où la culture autochtone était absente. A mesure que la philologie et l’épigraphie, les deux disciplines majeures de l’Ecole (elle-même placée sous le patronage de l’Académie des inscriptions et des Belles-Lettres), laissèrent leur place à d’autres champs d’investigation, l’approche holistique permit d’aboutir à certains ouvrages incontournables présentant des conclusions fondatrices quant à l’histoire des pays indochinois. Ce fut particulièrement le cas pour le Vietnam, longtemps considéré comme une dépendance méridionale réfractaire de son grand voisin chinois. Pourtant, à mesure que les travaux de recherche avanceront, notamment en matière de préhistoire indochinoise et d’étude critique des sources chinoises, le substrat autochtone des cultures des peuples habitant la zone sera peu à peu révélé. Les auteurs insistent également sur le perfectionnement continu des techniques archéologiques des savants de l’Ecole s’agissant notamment de la restauration de la cité khmère d’Angkor. Plusieurs disciplines nouvelles pour leur époque ont de la même façon trouvé un riche champ d’application et produit des fruits estimables pour la recherche. On peut citer ici, la mise en place de l’archéologie de fouille systématique sur le site d’Angkor par Georges Trouvé (responsable de la conservation et de la restauration des temples d’Angkor) ou encore la mise en place officielle de protocoles ethnographiques en 1937 qui permettront à Maurice Durand d’établir la constante autochtone au Vietnam face à la double influence chinoise et indienne.  La seconde moitié du XXème siècle verra également l’arrivée de matières telles que l’anthropologie sociale ou l’histoire économique.

               Notons ici qu’avant même que le décret de 1901 vienne confirmé le statut de l’Ecole, celle-ci avait déjà noué des liens solides avec la Société Batave des Arts et des Lettres (Bataviaasch Genootschapp Van Kunsten en Wentenschapen), sorte d’équivalent néérlandais fondé en 1778 à Java (Indes néérlandaises, aujourd’hui la Malaisie). S’en suivra une relation extrêmement féconde et un soutien mutuel permettant l’épanouissement respectif de chacune des institutions.

L’EFEO : de l’ambiguïté de sa facette coloniale à son redéploiement à partir de la métropole

               Ce travail de recherche florissant se double de fonctions administratives jusqu’en 1952, date à partir de laquelle sa gestion devient quadripartite en préparation des indépendances des pays constituant l’Indochine. Le statut de l’école est alors ambigu puisque bien que faisant vœux d’objectivité scientifique sous le contrôle seul de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres, elle n’en demeure pas moins dépendante du budget général de la colonie et soumise au train de mesure encadrant sa mission de conservation fédérale. De plus, la plupart des personnes formant l’entourage des savants sont les cadres coloniaux, les administrateurs et les militaires formant la société coloniale d’alors. Elle est en cela une partie prenante à part entière de l’entreprise coloniale l’amenant tantôt à coopérer avec l’administration – Paul Mus, sociologue à l’EFEO, fut l’émissaire de la négociation de la dernière chance entre le Viêt Minh et les autorités françaises en 1947 – tantôt à s’y opposer, notamment lorsque les autorités estiment que les savants dépassent leur mission scientifique en laissant transparaitre leurs réactions citoyennes aux événements politiques souvent jugées trop libérales vis-à-vis des indigènes. A noter également que les chercheurs indigènes furent maintenus dans des rôles subalternes durant une longue période et que, même quand ils furent acceptés au même rang que leurs collaborateurs européens, ils bénéficièrent d’un traitement moins avantageux.

L’ancien Musée Louis Finot et actuel Musée national d’histoire naturelle du Vietnam

Au-delà de cette question de statut administratif, l’Ecole fait face à un paradoxe de par la nature même de sa fonction : elle se voit confier la mission d’étudier et de conserver les éléments de pays dont on nie la souveraineté politique et modernisé à grande vitesse. Ce phénomène est d’ailleurs immédiatement compris par les savants de l’institution qui constatent collectivement dans le Bulletin de l’EFEO de 1920 consacré au 20ème anniversaire de l’EFEO : « Le seul fait de la présence en Extrême-Orient des Européens qui rend ces études possibles, est un risque grave de disparition pour leur objet : nos civilisations d’Occident semblent exercer une action dissolvante sur les civilisations propres de l’Orient, et nombre de formes présentes, nécessaires à l’intelligence des formes anciennes, seront, dans un avenir prochain, un passé mort ». C’est d’ailleurs ce décalage qui, au fil des années, segmentera en partie la scène politique indigène, oscillant entre nécessité de conserver les traditions (mouvement Can Vuong puis mouvement initié par Phan Boi Chau), réformisme des institutions (Phan Chu Trinh), mouvement révolutionnaire de type marxiste-léniniste (par nature moderniste et anti-féodal). Plusieurs chercheurs associés à l’EFEO passeront d’ailleurs dans le camp de l’anticolonialisme armé en rejoignant le Viet Minh après la seconde guerre mondiale : Nguyen Van Huyen – auteur de recherches fondamentales concernant l’ethnologie vietnamienne et premier vietnamien thésard à la Sorbonne – futur ministre de l’Education Nationale de la République Populaire du Vietnam entre 1946 et 1975 ou Nguyen Van To, responsable du fond documentaire, mort lors des combats contre les soldats français en 1947.

A la lecture des deux paragraphes pourraient se poser la question suivante : les chercheurs travaillaient ils dans l’intérêt de l’ordre colonial ou des peuples qu’ils étudiaient ? Bien que légitimes, les termes exclusifs que cette interrogation lui confère un caractère anachronique. En effet, malgré la porosité des limites entre la science et la politique sur le territoire indochinois, force est de constater à la lecture de l’ouvrage que les travaux de fond engagés par l’EFEO furent fondateurs pour les institutions culturelles qui lui succédèrent suite aux indépendances (les fonds de l’EFEO furent ainsi partagés lors du transfert définitif du siège de l’Ecole de Hanoï vers Paris en 1956), leur personnel savant, la conservation et le renouvellement de leur patrimoine voire même pour la constitution d’une identité nationale nouvelle. Le meilleur exemple reste ici le fait que la découverte des tambours en bronze de Dong Son en 1924 fut un fait déterminant pour l’écriture de l’histoire vietnamienne précédent les 1000 années de domination chinoise. Ce faisant, ces travaux permettaient de souligner la singularité du peuple vietnamien dans un contexte d’après-guerre de réunification qui verra les tensions avec Pékin s’intensifier jusqu’à l’éclatement de la guerre sino-vietnamienne de 1979. De ce fait, les motifs des

Un motif de tambour de la civilisation dite Dong Son, du nom du village où les premiers éléments de cette culture furent découverts.

tambours de bronze Dong Son, fruit de la recherche coloniale, sont aujourd’hui omniprésents au Vietnam. Les savants connaissent mieux que quiconque la nature du lien entre Savoir et Pouvoir, aussi la plupart d’entre eux étaient-ils conscients de leurs devoirs envers les administrateurs coloniaux tout aussi bien qu’envers la Science et les peuples autochtones. Certains, tels Paul Lévy (directeur de l’EFEO entre 1947 et 1950), en viendront même à exprimer publiquement des positions anticoloniales durant la période poste seconde guerre mondiale. Nous verrons d’ailleurs que le magistère scientifique de l’Ecole dépassa largement les frontières indochinoises et s’exerça en dehors du contexte politique colonial et ce dès le début du XXIème siècle.

Le rayonnement des activités scientifiques et culturelles françaises à l’étranger.

               L’œuvre de l’EFEO ne se cantonne pas aux territoires de l’Indochine et ex-Indochine seule. En effet, ce territoire et les peuples qu’il accueillait étant alors jugé comme un mélange culturel entre l’Inde et la Chine et les savants fondateurs étant des indianistes, les travaux de recherche se déployèrent dans l’ensemble de l’Asie Orientale dès la fondation de l’Ecole. Evidemment, leur intensité et leur profondeur divergèrent en fonction de l’accessibilité des pays et de l’intérêt des chercheurs au fil du temps. Les trois pays indochinois furent pour cette raison les principaux sujets d’étude tandis que la Chine fut longtemps difficile d’accès, ce qui n’empêchera pas la menée de travaux décisifs dans le pays. L’Inde fut également un objet d’attention toute particulière étant donné les spécialités des chercheurs fondateurs de l’Ecole. La collaboration avec la Société Batave des Arts et des Lettres dès les premières années d’existence de l’Ecole permit également une bonne implantation en Indonésie et Malaisie. La Thaïlande (à l’époque le royaume du Siam) fut un partenaire particulièrement privilégié de l’EFEO et ce dès ses premières années : après avoir envoyé un délégué porteur de cadeaux (ouvrages pour la bibliothèque de l’Ecole) au Congrès des orientalistes de Hanoï en 1902 ; le Prince Damrong Ranjanubhab (frère du roi du Siam d’alors), érudit et fin connaisseur de la culture thaïe,

Le Prince Damrong Ranjanubhab (1862-1943)

désire voir les méthodes scientifiques occidentales appliquées à l’étude et à la conservation du patrimoine de son pays et noue des relations avec le pionnier de l’Ecole en archéologie Etienne Lunet de la Jonquière, mais aussi et surtout, avec Georges Coedès qui occupera plusieurs fonctions publiques sous son autorité ( conservateur de la bibliothèque Vajiranana future bibliothèque nationale et secrétaire général de l’institut Royal de la littérature notamment).

Pour des raisons de confort de lecture et même si nous avons déjà quelque peu défricher le sujet concernant les pays indochinois, on ne saurait produire ici une liste exhaustive des réalisations de l’Ecole en Asie Orientale. On se bornera donc à évoquer les achèvements les plus importants, on peut citer:

  • L’élaboration de l’Hoborigin, un dictionnaire encyclopédique du bouddhisme d’après les sources chinoises et japonaises lancé par Takakusu Junjirô et Sylvain Lévy.
  • La découverte et l’exploitation des quelque 50 000 manuscrits médiévaux (datant d’une période comprise entre le Vème et le XVème siècle) de Dunhuang (nord-ouest de la Chine) par Paul Pelliot. Ce fond documentaire dut une source d’étude capitale dans l’étude de l’histoire des religions et de l’art en Chine.
  • Les travaux philologiques, archéologiques et religieux de l’EFEO avaient dans un premier temps conduit les scientifiques à évoquer les pays sous influence culturelle indienne (Thaïlande, Cambodge, Laos, Birmanie notamment) sous le vocable de « Great India » ou « Grande Inde ». Bien que flattant les nationalistes indiens en pleine période pré-décolonisation (et donc de nationalisme), cette notion fut au fur et à mesure nuancer et les éléments indiens retranchés devant la permanence du substrat autochtone dans les pays étudiés. Le processus d’indianisation de la péninsule indochinoise est d’ailleurs étudié par la suite à partir du site de l’EFEO à Pondichéry sur la base de l’étude des 28 volumes des agâma, textes rituels dédiés au culte du dieu Shiva. En plus de démontrer son role de vecteur d’indianisation, le travail de compilation menés par les savants indiens rattachés à l’Ecole conduira à une réforme liturgique profonde du culte.

A l’heure où ces lignes sont écrites, l’EFEO dispose de 18 centres répartis dans l’ensemble des pays d’Asie Orientale et constitue aujourd’hui encore un réseau d’étude et de recherche de pointe sur la scène internationale.

Conclusion :

               Un siècle pour l’Asie, L’Ecole française d’Extrême-Orient, 1898-2000 est un ouvrage extrêmement riche qui survole de façon synthétique les 100 années d’existence de l’Ecole en parvenant à évoquer avec simplicité pléthore de sujets d’habitude réservé à un public averti.  En cela, il remplit parfaitement sa fonction commémorative et se trouve à même de mieux faire connaitre l’EFEO aux profanes.

Il constitue également un témoignage vivant de l’évolution de l’influence française en Asie durant et après la phase coloniale, l’Ecole et ses activités ayant elles-mêmes souffert des troubles politiques et des guerres que connut la zone durant la seconde moitié du XXIème siècle. Par extension, l’ouvrage permet également de cerner de façon plus précise la teneur et l’intensité des transferts culturels dans ou hors d’un contexte colonial, aussi bien entre occident et orient (France et Vietnam, Laos, Cambodge) ou entre nations orientales (Chine et Inde sur l’Asie du Sud Est notamment.

               Une lecture recommandée pour les personnes intéressées par l’Histoire de l’Indochine Française et l’histoire contemporaine des pays d’Asie Orientale souhaitant se faire une idée de l’évolution des sciences humaines dans la zone et de la façon dont le savoir académique se forme.

Actualité – Démission du président Nguyen Xuan Phuc : vers un changement de la gouvernance vietnamienne ?

               Le 17 janvier dernier, la capitale vietnamienne fut le théâtre d’une scène inédite : la démission du Président de la République Socialiste du Vietnam Nguyen Xuan Phuc. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un des « 4 piliers » de la direction du pays[1] quitte ses fonctions avant terme, donnant donc lieu, de par l’absence de précédent, à un flot de spéculations quant aux tenants et aux aboutissants de cette affaire.

Nguyen Xuan Phuc, ex-président de la République Socialiste du Vietnam

                Il faut dire que, tradition marxiste-léniniste oblige, les procédures entourant ce type de décisions ne se font que derrière l’opaque monolithisme du Parti, ne permettant quasiment aucun commentaire péremptoire à propos d’une situation pourtant inédite. Aussi nous attacherons nous dans les développements qui suivent à l’interpréter au mieux tandis que le lecteur se devra de suivre les raisonnements avec des pincettes.

               Efforçons-nous donc de démêler l’écheveau en commençant par les raisons de ce départ. Le communiqué officiel du Parti parle d’ « infractions et de fautes » (« vi phạm và sai trái ») qu’auraient commis l’ex-président sans rentrer plus avant dans les détails. Beaucoup d’observateurs – vietnamiens comme étrangers – avancent avec un degré de certitude plutôt fort, qu’il est ici fait référence à des manquements de Nguyen Xuan Phuc alors qu’il occupait le poste de Premier Ministre (2016 – 2021) durant la pandémie de Covid-19. Ces assertions s’appuient sur les démissions de deux figures majeures du gouvernement d’alors (travaillant donc sous la supervision de Phuc) plus tôt dans le mois : Pham Binh Minh, membre du Politburo occupant à l’époque le poste de ministre des affaires étrangères, et Vu Duc Dam, également membre du Politburo et vice-Premier ministre au moment des faits. Comme pour l’ex-Président, les contours des accusations qui les poussaient vers la sortie étaient très flous. Les faits interviennent cependant dans le cadre d’une enquête de grande ampleur visant à réprimer un réseau de corruption parmi les fonctionnaires de leurs services dans le cadre 1) du scandale Viet A qui avait vu la collusion entre l’entreprise du même nom et le gouvernement pour la promotion de faux tests PCR officiellement et faussement promus comme approuvés par l’OMS[2]  et 2) de l’attribution des billets d’avion aux Vietnamiens d’outre-mer désirant rentrer au pays alors que la quasi-totalité des pays du monde fermaient leur frontière[3].

Changement de méthode dans la « fournaise ardente[4] » de l’anti-corruption au Vietnam

               Soyons clair, la corruption des serviteurs de l’Etat est omniprésente au Vietnam (87ème place sur 180 pays sur l’Index de Perception de la Corruption de Transparency International) et n’est guère taboue depuis le Đổi mới. Certains diraient même qu’elle est consubstantielle au régime à la fois empreint de bureaucratisme de type soviétique, de clientélisme local et décentralisé du fait des guerres du passé et teinté de la passion française pour l’administratif. La population ne s’y soumet que dans la mesure où elle y trouve son compte d’un point de vue économique et social et où, malgré ses déprédations, elle permet de servir de lubrifiant à un moteur étatique encore trop lourd et complexe pour être pleinement performant. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle reste vue comme une sorte de parasitage de l’économie productive qui n’est pas sans rappeler l’animosité atavique des paysans d’antan à l’encontre des mandarins prédateurs profitant de la faiblesse de la cour impériale de Huê pour s’enrichir sans cause.

 

Nguyen Phu Trong, Secrétaire Général du Partie Communiste Vietnamien.

              Aussi le prestige et la légitimité du Parti sont-ils atteints à chaque fois qu’une affaire de ce type éclabousse un de ses représentants, quel qu’il soit, menaçant de fait la stabilité politique d’un régime tirant sa légitimité auprès de la population de sa capacité à assurer la prospérité du pays et l’élévation du niveau de vie moyen. Bien conscient de ce problème, le Parti Communiste Vietnamien (PCV) s’est doté d’une direction conservatrice au début des années 2000, celle-ci ayant notamment pour but d’empêcher que la libéralisation de l’économie du pays n’entraine une libéralisation politique et sociale qui amènerait, in fine, la fin du système à Parti Unique. C’est dans cette perspective que Nguyen Phu Trong, Secrétaire Général du Parti depuis le 19 janvier 2011, a lancé une vaste campagne de lutte anti-corruption afin de 1) préserver l’intégrité morale du Parti et 2) de garantir le développement efficace de l’économie[5] . Loin de n’être qu’un outil permettant l’orchestration des purges continuelles dans le cadre des guerres de faction qu’abritent le Parti, le lancement de cette campagne a permis à la République Socialiste du Vietnam de gagner en une décennie 30 places à l’Index de Perception de la Corruption précédemment cité et donc d’assurer aux investisseurs étrangers une certaine forme de régularité dans la conduite des affaires économiques. Pour donner quelques chiffres, l’année 2022 a vu 539 membres du Parti (dont plusieurs ministres et diplomates) poursuivis devant les instances du Parti ou visés par des mesures disciplinaires pour des faits de corruption ou de « fautes délibérées » tandis que la police faisait état de 453 enquêtes pour corruption, soit une augmentation globale des procédures de l’ordre de 50% comparé à 2021. Davantage de détails sur la anti-corruption au Vietnam sur le site suivant : https://vietnam-aujourdhui.info/2022/06/18/whats-behind-vietnams-latest-anti-corruption-fight/

               Pour en revenir à notre affaire, la direction vietnamienne a fait état à l’heure actuelle de 37 arrestations d’officiels dans le cadre des rapatriements et des affaires liées au scandale Viet A[6], certaines procédures visant notamment l’ex-ministre de la santé Nguyen Thanh Long, l’ex maire d’Hanoï Chu Ngoc Anh ainsi que l’ex ambassadeur du Vietnam au Japon Vu Hong Nam[7]. Si ces derniers semblent en voie de payer le prix de leurs fautes après une procédure officielle, Phuc comme ses deux ministres sus nommés paraissent avoir l’opportunité de quitter les affaires par la petite porte sans faire davantage de vagues. C’est ainsi que lors de l’acceptation de la démission de  l’ex-Président par l’Assemblée Nationale le 19 janvier dernier, il s’est vu félicité pour sa bonne gestion de la crise sanitaire malgré la responsabilité qu’il doit endossée pour les manquements de ses subordonnées. La presse officielle vietnamienne – rappelons le, intégralement dans la main du Parti – est ainsi extrêmement laconique quant à l’événement malgré la situation sans précédent qu’elle engendre.

               Et c’est sans doute sur ce point que les changements les plus notables sont à constater : alors que la répression des plus grosses affaires de corruption avait été très dure, allant même jusqu’à la peine capitale dans certains cas, il semble désormais possible pour les dignitaires vietnamiens du plus haut niveau de s’effacer du jeu politique sans s’attirer les foudres de la direction du Parti via une procédure disciplinaire au cours de laquelle toute les rivalités politiques du pays se déchainent. Un changement de cap officialisé par Nguyen Phu Trong en personne dans une interview donnée à « la voie du Parti, du Pays et du Peuple », le journal Nhan Dan, à l’occasion du Têt 2023[8].

               Ce changement de perspective dans la lutte anti-corruption et la gouvernance du pays présente un triple avantage : 1) il maintien la volonté farouche affichée par le Parti dans le déracinement de la corruption, 2) il permet de limiter les dégâts infligés à la moralité du Parti par la compromission d’un de ses membres en insistant sur le départ volontaire sur des bases morales, ce qui 3) favorise la coopération des cadres touchés par des affaires de corruption sans avoir recours à des procédures contraignantes et dramatiques ébréchant le monolithisme apparent du Parti et donc la stabilité du régime. A ce triptyque s’ajoute le fait non négligeable que cette procédure, menée dans le secret des plus hautes instances du Parti, permet de désigner un responsable à une situation provoquant l’ire de la masse populaire, l’apaisant ainsi sans être transparent ni sur les faits reprochés, ni sur l’ampleur de la corruption. En somme, elle offre une sortie de crise moins dommageable pour le Parti tout en ne l’obligeant pas à davantage de responsabilité ou de transparence auprès de la population. Une manœuvre que les anglo-saxons appelleraient un « tour de force » et dont le PCV semble avoir d’autant plus besoin que les nuages s’amoncellent s’agissant des perspectives économiques du pays malgré de très bons résultats à la fin 2022. On notera enfin que ce type de procédé permet à la direction vietnamienne de reprendre d’une main la transparence qu’il avait été nécessaire de mettre en place de l’autre auprès de la population pour une lutte efficace contre le Covid-19 et qui pouvait menacer la mainmise sans partage du Parti sur la direction des affaires publiques (explication dans un article de votre serviteur publié dans Les Cahiers du Comité Asie de l’IDEHN numéro 20 : https://www.jeunes-ihedn.org/2022/cahiers-du-comite-asie-oceanie-20/ )

               Reste maintenant à savoir quels contours seront donnés à cette procédure et ses effets à long terme à la fois sur l’efficacité de la répression de la corruption et sur la population vietnamienne…

Une démission inédite aux conséquences limitées

               Le reste de l’affaire concernant l’ex-président nécessite moins de développement, soit en raison de manques d’éléments sur le futur, soit que le fonctionnement du PCV ne laisse que peu de place au hasard et à l’improvisation.

               Ainsi, le départ de Phuc procédant davantage d’une nécessité de conservation du prestige du Parti qu’à l’élimination d’un représentant d’une ligne minoritaire au sein de su Parti, la direction vietnamienne ne devrait pas radicalement changer de cap concernant les méthodes et les objectifs fixés lors du XIIIème Congrès du PCV. Il n’en demeure pas moins que Phuc, du fait de ses mandats aux plus hautes fonctions du régime, avait de fait nouer une relation de confiance avec de nombreux partenaires, notamment en Amérique du Nord et en Europe, et que trouver un remplaçant disposant des relations à même de maintenir ce niveau de coopération s’avère être mission impossible. Cela pourra donc impacter les décisions des investisseurs étrangers et altérer l’efficacité du modèle économique vietnamien.

               Pour le moment l’intérim du poste de président est assurée par Vo Thi Anh Xuan, Secrétaire du Comité Populaire Provincial d’An Giang et membre du Comité Central du PCV en 2016, qui devrait conserver le poste jusqu’à la prochaine réunion de l’Assemblée Nationale en mai prochain. Evidemment, les hypothèses quant au successeur de Nguyen Xuan Phuc fait déjà débat au sein des commentateurs de la scène politique vietnamienne entre ceux qui estiment que cette configuration originale pourrait voir l’avènement d’une génération de leaders de haut-niveaux aux méthodes et aux idées différents de leurs aînés et, au contraire, ceux qui estiment que si la direction du Parti a attendu la veille du Nouvel Lunaire Vietnamien pour « libérer » Phuc de ses fonctions, c’est bien pour en gommer l’importance en ces temps de réjouissances populaires et donc assurer une transition qui ne devrait pas modifié le cap choisi par le Parti.

Vo Thi Aanh Xuan

               En raison de l’opacité du fonctionnement du PCV, on ne peut pas vraiment départager les tenants de ces deux points de vue. La démission de l’ex-président est-elle seulement due à la très vive émotion populaire qu’ont susciter les affaires concernant Viet A et les rapatriement – ce qui est totalement plausible étant donné que cela touche à la fois les affaires familiales et sanitaires, deux points sur lesquels la population est particulièrement sensible – ou est-elle l’aboutissement d’une manœuvre de nuisance orchestrée par ses ennemis politiques au sein du Parti sur la base de ces scandales ?  Et, si tel est le cas, ces ennemis sont-ils les meneurs d’une faction opposées à la direction actuelle du Parti pour des raisons idéologiques et/ou d’intérêts personnels ? Aucun élément ne permet pour le moment d’accréditer une version au détriment de l’autre et donc de trancher… Sans doute la nomination du prochain Président en mai donnera quelques indications…


[1] Afin de palier une éventuelle trop forte concentration des pouvoirs la direction du pays se répartie en 4 comme suivant par ordre d’importance et de responsabilité : Secrétaire Général du Parti Communiste, Président de la République, Premier Ministre et Président de l’Assemblée Nationale.

[2] En 2020, l’entreprise Viet A a corrompu un certain nombre d’officiel afin de leur faire déclarer leurs tests comme valider par l’OMS, augmentant ainsi leur valeur marchande. Plus de détails : https://vietnamnet.vn/en/ministry-apologizes-for-incorrectly-saying-viet-a-test-kits-were-approved-by-who-803346.html

[3] Durant la crise sanitaire liée au Coronavirus, les fonctionnaires servant dans les représentations vietnamiennes à l’étranger avaient la main sur les listes de personnes demandant leur rapatriement et attribuaient les places en fonction de la somme versée par les demandeurs.

[4] Elément de langage souvent employé par le Numéro 1 vietnamien pour parler de sa campagne anti-corruption.

[5] Pour l’étude des impacts négatifs de la corruption sur l’économie voir :

[6] https://vietnamnet.vn/en/vice-president-vo-thi-anh-xuan-undertakes-role-of-acting-president-2102736.html

[7] https://thediplomat.com/2023/01/president-nguyen-xuan-phucs-departure-the-vietnamese-communist-partys-new-approach-to-accountability/

[8] https://special.nhandan.vn/general-secretary-nguyen-phu-trong-en/index.html

Fiche de lecture #19 – Les tambours de bronzes – Jean Lartéguy – Presses de la Cité – 1er janvier 1965

L’auteur : 

De son vrai nom Lucien Osty, celui que l’on connait sous le nom de guerre et d’auteur Jean Lartéguy est le témoin français privilégié des guerres de décolonisation françaises en Indochine puis en Algérie ainsi que des événements mondiaux majeurs.              

Né en septembre 1920, il grandit dans la Lozère, passe sa licence d’histoire à Toulouse puis devient secrétaire du médiéviste Joseph Calmette avant de se porter volontaire pour l’armée en octobre 1939. Suite à la défaite française face aux nazis, il passe en Afrique via l’Espagne, où il restera interné pendant 9 mois. Après sa formation, il devient officier dans l’Armée Française de Libération dans les commandos d’Afrique. Il reste dans l’armée de terre durant 7 ans – le temps d’être blessé en Corée lors de l’attaque de Crève-Cœur – avant de devenir correspondant de guerre, notamment pour Paris Match, ce qui lui permettra de couvrir de nombreux conflits de par le monde : premières guerres impliquant Israel, guerre de Corée, d’Indochine, d’Algérie, révolutions et guérillas en Amérique Latine. Ayant lui-même fait partie de l’armée française, il est l’un des rares journalistes reporter de guerre à faire davantage son travail sur le terrain que dans les hôtels sécurisés des grandes villes et à produire un travail original et riche en renseignement, raison pour laquelle il recevra le prix Albert Londres en 1955.

Il se lance également entre temps dans une carrière littéraire dès 1954, carrière qui sera prolixe puisqu’il publiera une cinquantaine d’ouvrage, traitant la plupart du temps de la guerre. Lartéguy se fait notamment connaitre grâce au trio de livre Les Mercenaires – Les Centurions – Les Prétoriens dans lesquels on peut suivre le changement d’état d’esprit d’un groupe d’officiers français après être passés dans le feu des creusets coréen, indochinois puis algérien sans compter la crise du Canal de Suez. Ses connaissances pratiques et théoriques de la guerre révolutionnaire/dissymétrique ainsi que la clarté de la retranscription de ses principes dans ses ouvrages lui ont valu et lui valent toujours d’être accolé à Trinquier et à Galula comme « expert » par les militaires américains, notamment par le général Petraeus, Commandant en chef de l’armée américaine en Irak puis en Afghanistan.

Le livre :

Les tambours de bronze peut être considéré comme une tentative de décrire les cruels jeux de pouvoir politico-mafieux dont le Royaume du Laos est le théâtre en 1964. Tentative car la construction de la narration sert un propos moins historique qu’esthétique autour du petit royaume en proie à la désagrégation avec l’agonie de la présence française en Extrême-Orient. En effet, sans doute mû par la même affection qu’Hougron avait pour le pays, Lartéguy décrit par la bouche de ses personnages le Laos comme un paradis. Mais comme le Paradis, le Laos émergeant de l’Indochine Française n’existe pas plus sur terre car coincé entre l’appétit vorace d’un Nord-Vietnam conquérant et impérialiste et une Thaïlande prospère et prédatrice, le tout arbitré par les grandes puissances rivales de la guerre froide qui y jouent un rôle direct sans totalement l’assumer (Chine, URSS, Etats-Unis, Royaume-Uni).

               Pour dépeindre cette fresque, Lartéguy utilise le personnage de l’ethnologue/chef des services secrets français au Laos François Ricq incarcéré suite à un pathétique coup d’Etat fomenté par les hommes du Général Xi Mong, militaire de carrière formé par les Français et trafiquant d’opium lié à l’armée laotienne ainsi qu’à la pègre thaïlandaise, mais à son insu. C’est l’agitation de l’ensemble des soutiens et ennemis du Colonel Ricq dans leur volonté de le libérer ou de le faire assassiner qui va permettre de former le tissu des relations politiques, militaires, ethniques, mafieuses, géopolitiques et idéologiques qui forment le paysage laotien de l’époque. L’évocation de chaque personnage est également matière à des retours en arrière renvoyant Ricq vers son enfance à Paris où il a développé sa fascination pour l’Asie, l’entrée de son frère dans les réseaux de la France Libre durant l’occupation, son propre engagement en faveur de De Gaulle alors qu’il se trouvait en Afrique Equatoriale Française, sa formation par la Force 136 ou son parachutage afin de créer des maquis anti-japonais au Laos. On découvre ainsi au fil des pages les motivations et les moyens lui ayant permis de tenir tête durant 20 ans au Viêt-Minh, aux japonais, aux thaïlandais et aux américains et de sauver le pays qu’il aime. Il lui a pour cela fallu créer, seul et quasiment sans moyen, une armée, un parti et un gouvernement neutraliste pour empêcher de Laos de tomber dans l’engrenage meurtrier de la Guerre du Vietnam.

               Mais c’est le récit de son échec que l’ouvrage raconte. Aussi chaque élément est-il dépeint comme figé dans un immobilisme cancérigène, une sorte de pourrissement inexorable que chacun des protagonistes de l’histoire, quel que soit sa faction ou ses motivations, ne parvient pas à enrayer malgré la lucidité cynique et implacable dont chacun semble doté à propos de la situation. De ce fait, Lartéguy offre une oraison funèbre tragique à la présence française en Extrême-Orient tout en brocardant crûment les factions qui s’activent pour occuper la place laissée vacante. Ainsi, les militaires putchiste laotiens – emmenés par Xi Mong – ne sont décrits que comme des aventuriers uniquement mus par leur intérêt personnel, ce qui les empêche « d’encadrer les masses » aussi efficacement que les tenant des deux blocs ; les autorités laotiennes, à commencer par les membres de la famille royale, sont influençables, serviles et corrompues peu importe leur affiliation idéologique ; les communistes vietnamiens et laotiens donnent dans l’absurde en voulant imposer par la force un système collectiviste dans un pays qui ne connait pas la propriété privé et dont le peuple est épris de liberté tandis que les Américains, incarnés par le Colonel Cosgrove,  pensent régler tous les problèmes en « arrosant » le pays de dollars, ce qui devrait faire barrage aux flots communistes. Des archétypes récurrents dans l’œuvre de l’auteur…

               Pour autant, surnage sur cette base tragique un lyrisme épique porté par le personnage d’Antoine Gibelin, mentor et ami de François Ricq mais aussi trafiquant d’opium et aventurier rêveur. Parti en Asie pour « trouver le tombeau de Don Quichotte » – situé au Laos selon ses propos, c’est lui qui insuffle l’idée d’un Laos réellement indépendant à Ricq par amour pour le pays et ses habitants, cause pour laquelle il se battra dans le cadre de l’Indochine française puis pour son propre compte. C’est en effet sous sa direction que s’opère le retrait du maquis laotien sous la pression japonaise puis une redoutable marche de retraite dans le nord du pays parmi les Khas puis les farouches Méos. Un chapitre contemporain dans le recueil des chansons de geste française. C’est d’ailleurs par vengeance qu’il sera assassiné par les homme de Xi Mong contre qui il s’était battu pour la restauration du Roi après le départ des japonais. Un meurtre qui précédera l’arrestation du héros du roman et qui lèvera le voile sur ses chimères.

Jean Deuve (1918-2008)

              Si l’on ajoute à cela le fait que Lartéguy reprend les différentes étapes de la carrière du Colonel Jean Deuve pour dérouler l’histoire de Ricq, le propos de Les tambours de bronze prend un tour vraisemblable, réel et palpable. Ainsi le texte est-il préservé d’une certaine forme de romantisme niais qui pourrait s’épanouir dans la description des ultimes et vains efforts d’un officier de renseignement français dans le but de sauver un pays décrit comme paradisiaque. De plus, la précision avec lesquels les péripéties sont relatés, que cela soit dû aux éléments biographiques précités ou à la profession originelle de Lartéguy, permet une immersion facile dans l’ouvrage malgré la complexité de son sujet et son aspect poétique dénué à vocation non-documentaire. Si l’on sent le même souci de précision afin de rendre hommage à un pays à une époque donnée comme dans Tu récolteras la tempête de Jean Hougron, le Laos que on distingue dans l’ouvrage est autrement moins net, plus chaotique et chimérique à des fins aussi bien esthétique que moral.

               En effet, ce style – en plus de permettre de lier lyrisme, tragédie, politique, guerre et espionnage dans un même livre –  sert la leçon tirée par Lartéguy (et sans doute par Deuve) de ses séjours en Indochine puis dans les pays indépendants qui en furent issus : la menace que firent constamment peser les communistes sur le Laos n’était qu’une diversion pour tromper les Occidentaux crédules et les détourner des véritables enjeux des guerres révolutionnaires, notamment sur le plan politique. Ricq et Cosgrove, partant en vaincu à la fin du récit, sont punis pour avoir trop focaliser leur attention sur le petit royaume alors que la partie se jouait ailleurs… D’où le titre du récit, Les tambours de bronze faisant référence à l’astuce mise en œuvre par un antique général chinois, Ma Yuan, chargé par l’empereur de protéger la frontière sud de l’empire mais sans lui donner de troupe : il place de nombreux tambours de bronzes sous plusieurs cascades montagneuses, trompant les tribus locales en leur faisant croire que le bruit ainsi produit résultait de l’activité de l’armée chinoise.

               Au final, Les tambours de bronze est un de ces objets littéraires difficiles à catégoriser tant il est dense et original. Pas réellement une chronique historique, pas vraiment un roman d’espionnage ou de guerre, le livre est un rafraichissant mélange des genres pourtant très facile à appréhender en raison de l’écriture simple et précise de l’auteur. Ce faisant, il offrira au lecteur une présentation plus précise, plus vivante et surtout plus digeste de ce que fut le début de la seconde moitié du XXème siècle au Laos que ne le fera n’importe quel livre spécialisé. Un incontournable pour qui s’intéresse aux deux premières guerres d’Indochine, pour qui aime les aventures dans les jungles suintantes du sud-est asiatique ou pour qui cherche simplement un livre divertissant.

Actualité – Le nouveau « miracle économique asiatique » confirme avant un ralentissement annoncé

Loué pour sa gestion de la crise sanitaire et de ses répercussions économiques, le Vietnam connait un rebond spectaculaire dans tous les secteurs. En effet, selon les chiffres de la banque mondiale, Hanoï a enregistré une croissance de son PIB à hauteur de 13.67% au troisième trimestre (en progression annuelle). Une performance aussi remarquable qu’inespérée puisque le pays devrait finir l’année avec 8% de croissance en moyenne, au lieu des 6-6.5% prévu par le gouvernement. De leurs côtés les exportations devraient atteindre les 368 milliards de dollars cette année, soit 9.5% de croissance en glissement annuel, et +6.4% d’investissement direct étranger sur l’année comparée à 2021.

La croissance de la production industrielle vietnamienne dans les 8 premiers mois de 2022 comparée à la même période en 2021. Source: Bureau Vietnamien des Statistiques Générales

               Ces bons résultats s’expliquent d’abord par une politique sanitaire efficace qui, en plus de préserver des vies humaines, a permis à Hanoï de renvoyer assez rapidement ses ouvriers au travail et de s’attirer la confiance des investisseurs étrangers. D’abord concentrées sur une politique « zéro Covid-19 », les autorités sanitaires vietnamiennes ont su très vite s’adapter à la situation « vivre avec » – malgré une non préparation – après que les divers variants du virus ont fait craquer les digues en juillet 2021.  Après une campagne de vaccination plutôt efficace – la première de cette ampleur dans le pays – 75% de la population vietnamienne avait reçu une dose et 55 % deux doses en décembre 2021. Quoique ce bilan ne permette à Hanoï que de prétendre à la 4ème place au « classement vaccination » Asie du Sud-Est/Chine, il a permis un retour au travail relativement rapide dans les zones industrielles du pays, notamment en comparaison avec le voisin chinois qui subira plusieurs quarantaines strictes en 2022. Une « success story » qui permettra au pays de faire bonne presse à l’internationale.

               Couplé à cette gestion sanitaire, le changement d’axe face au Covid-19 en été 2021 a vu un volet socio-économique se mettre en place pour soutenir les « 5 fers de lance » de l’économie vietnamienne : attractivité des investissements directs étrangers, stimulation des exportations, consommation domestique, favoriser l’investissement des agents économiques vietnamiens privés comme publics et accélérer le développement de l’investissement public (quantitatif comme qualitatif). Après une période de concertation avec les agents économiques publics et privés, les autorités vietnamiennes ont émis deux documents légaux – la résolution No.43/2022/QH15 de l’assemblée nationale et la résolution No. 11/NQ-CP du gouvernement –  présentant les dispositions monétaires et fiscales qui allait entrer en vigueur pour 2022. Dans les grandes lignes, ces mesures visent 1) à réduire certaines taxes et droits directs de l’Etat (TVA, douane, loyers dus à l’Etat, impôt sur les sociétés), 2) à décaler le paiement des taxes à l’année prochaine, 3) à mettre en place un vaste programme de relance et d’investissement public (infrastructure, soutien du secteur des affaires et de l’immobilier, investissement dans le secteur médical). A noter sur ce point que la résolution No. 43/2022/QH15 du gouvernement avait augmenté les dépenses du gouvernement à 176 milliards de dollars pour la période 2022-2023, soit % d’augmentation, notamment pour financer ces politiques. Enfin, toujours dans cette résolution, le gouvernement s’est donné comme objectif de maintenir l’inflation en dessous des 4%, objectif pour le moment atteint avec seulement 3.8% d’inflation sur les 3 premiers trimestres de 2022.

               Dans le même temps, maintenant sa doctrine d’ouverture économique tous azimuts, le Vietnam a bénéficié de l’entrée en vigueur de deux accords de libre-échange avantageux pour son modèle durant les périodes Covid et post Covid. Le premier le lie à l’Union Européenne, est entré en vigueur en aout 2020 et prévoit la réduction voire la suppression des droits de douanes sur une longue liste de produits. Le second, le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), qui est quant à lui entré en vigueur le 1er janvier 2022, ouvre les frontières économiques (élimination des quotas d’exportation sur 65% des produits et des droits de douane à hauteur de 90%) entre le Vietnam d’une part et 14 autre pays d’Asie, dont plusieurs classés dans les « économies développées » comme le Japon, la Chine, la Corée du Sud ou l’Australie. Ces ouvertures successives ont offert à Hanoï une marge de manœuvre considérable pour se placer favorablement dans le contexte de restructuration des chaines de valeur mondiales qu’ont entrainé d’abord la pandémie de coronavirus puis la guerre en Ukraine et ses conséquences.

               L’ensemble de ces éléments a permis au Vietnam de jouer à fond la carte « Chine +1 » pour attirer les flux monétaires. Il s’agit en somme de pousser les investisseurs étrangers à installer leurs activités de production industrielle à faible/moyenne valeur ajoutée sur le territoire national par l’attrait d’une main d’œuvre peu chère et relativement bien formée, d’une fiscalité engageante et d’une stabilité politique à même de ne pas perturber les activités économiques sans qu’ils aient à craindre les conséquences de la politique extérieure chinoise, d’ailleurs de plus en plus agressive à l’égard de Taïwan depuis le début de 2022. Ce schéma s’est même doublé depuis le début de l’année avec la promesse de ne pas voir le fonctionnement économique trop perturber par le Covid-19 alors que Shangaï, une des principales places fortes économiques chinoises, se débattait avec le virus entre février et juillet avec plusieurs semaines de quarantaines strictes. A ce titre, l’actualité semble faire état d’une recrudescence de cas confirmés dans plusieurs épicentres à travers le pays, dont la ville industrielle de Guangdzhou.

               Pour autant, si toutes les affirmations précédentes sont véridiques et peuvent être portées au crédit de la direction vietnamienne, il n’en demeure pas moins que la crise sanitaire a durablement impacté l’économie vietnamienne et que ses conséquences sur les économies des autres pays frappent et frapperont encore un pays dont le modèle est autant tourné vers les exports. En effet, moins dithyrambique que la presse internationale, la presse en langue vietnamienne, si elle rappelle constamment les bons résultats économiques, ne tente pas de minimiser les profondes difficultés que la pandémie a engendrées. En 2021, 119 828 entreprises nationales, essentiellement petites et moyennes, avaient été temporairement mise au chômage technique ou dissoute, soit une augmentation de +17,8%. Sur la même année, le taux de chômage avait atteint 4 ,42% en milieu urbain et 2,48% en milieu rural, les pires chiffres de ces 10 dernières années. Dans le même temps, le revenu moyen avait baissé de 10,5% pour atteindre 5,3 millions de VND (soit environ 206,40 euros), également une première dans un pays où tous les travailleurs voyaient leurs revenus augmenter tous les ans. Ils se pourraient même que le bilan soit plus grave que ce que ces indicateurs laissent transparaitre. En effet, selon des estimations de sources différentes, 20 à 30% de l’économie vietnamienne est informelle et, de ce fait, n’est prise en compte par aucune métrique alors même que la plupart du temps ces activités sont très précaires. Ajoutons ici que ce pan de l’économie vietnamienne, parce qu’hors registre, n’a pu bénéficier des mesures de soutien et d’accompagnement du gouvernement.

               La pandémie a également approfondi les écarts socio-économique entre les zones franches et urbaines concentrant les activités industrielles destinées à l’export et les zones marginales des campagnes pauvres ou des régions montagneuses. L’accès aux soins, à l’eau potable, à l’éducation et à l’emploi sont autant de secteurs qui ont souffert de la pandémie du fait de la suspension des travaux d’infrastructures ou des changements de priorités des autorités. S’ajoute à cela que la plupart de ces territoires sont zones d’émigrations au niveau national et reçoivent ainsi de l’argent des enfants du pays parti travaillé à l’usine. Mais, certains ayant perdu leur emploi ou ayant peur de revivre une quarantaine stricte comme celle de l’été 2021, ces ressources s’amenuisent à mesure que l’activité industrielle ralenti au Vietnam. Rappelons ici, les personnes gonflant l’exode rural vietnamienne envoient très souvent de l’argent à leur proche dans leur province d’origine et que la disparition de cette source de revenus produit un large écho sur le plan social.

En 2021, la peur d’une quarantaine prolongée sans pouvoir travailler et donc sans salaire avait poussé une grande partie des ouvriers issues des campagnes à rentrer dans leur village d’origine.

               Et ce ralentissement s’est déjà fait ressentir au plus fort de la pandémie mondiale mais devrait se doubler des conséquences socio-économiques dans les pays important les produits fabriqués au Vietnam. L’inflation causée par l’impression record de dollars pour soutenir l’économie mondiale impacte et impactera durement le pouvoir d’achat des habitants des pays développés, se traduisant par un tarissement des commandes auprès des producteurs vietnamiens. Si à ce jour c’est le secteur textile qui marque le pas au Vietnam, il est à prévoir que ce phénomène s’étendra à tous les secteurs d’exportation du Vietnam, provoquant, pour sûr, des remous sociaux. Par ailleurs, si le pays est pour le moment épargné par l’inflation en raison d’un appareil de production à même de fournir les produits de première nécessité à bas prix, la grande ouverture du modèle vietnamien à l’économie mondiale couplée à la flambée des prix des matières premières au plan mondial, notamment sur le plan énergétique, pourrait encore aggraver la situation.

               Partant, la sortie de crise sanitaire va mettre au défi la direction vietnamienne étant donné que celle-ci fonde sa légitimité sur sa capacité à briser l’isolement diplomatique que connaissait alors le pays et à améliorer sa santé économique. Ce dernier élément est ainsi tenu comme une composante essentielle de la sécurité nationale au Vietnam, aussi bien sur le plan interne (paix sociale) qu’externe (capacité de la défense nationale à assurer l’indépendance du pays). Reste désormais à savoir si Hanoï saura mobiliser un appareil de redistribution capable de convertir ses résultats macroéconomiques en un système économico-social à même de réduire les inégalités et à protéger les plus fragiles afin de ne pas perdre l’atout de stabilité politique sur lequel se fonde en partie son attractivité. L’enjeu est d’ailleurs d’autant plus grand que la crise du Covid, pour être gérer efficacement, avait vu se mettre en place une transparence inédite des actions gouvernementales – une attitude plutôt inhabituelle dans un des derniers pays marxistes-léninistes au monde – qui avait emporté l’adhésion de la population et sa coopération aux politiques sanitaires. Ceci ajouté aux aspirations libérales d’une frange de la population pourrait pousser les masses vietnamiennes à atteler « transparence » à « efficacité de l’action publique », ajoutant une pression supplémentaire sur les décideurs du PCV.

Fiche de lecture #18/ Cycle Indochinois #6 – Tu récolteras la tempête – Jean Hougron

L’auteur:

Jean Hougron est un écrivain français né le 1 er juillet 1923 à Colombelles et décédé le 22 mai 2001 à Paris. Fils de cheminot normand, il fait son Droit à Paris durant l’occupation avant de se faire embaucher dans une maison d’import-export de Marseille. A l’étroit dans la France d’après-guerre et dans son poste de professeur d’anglais et d’éducation physique dans un pensionnat de Dreux, il décide de partir en Indochine en juin 1947, à la fois par gout de l’aventure et à la recherche d’inspiration littéraire. Conscient de ses capacités d’écriture, il avait en effet déjà publié quelques nouvelles de roman noir dans un magazine marseillais et écrit un roman d’anticipation (non publié). Son premier voyage dans un camion bourré de marchandise entre le Cambodge et la Thaïlande le fera quitter son emploi de bureau pour devenir lui-même chauffeur et, 9 mois après son arrivée à Saigon, il sillonne le Cambodge, le Laos, le Vietnam et la Thaïlande, prenant à chaque trajet une multitude de notes de ce dont il fait l’expérience. Tantôt planteur de tabac, tantôt vendeur de boissons ou professeur au Laos ; il tire de ses nombreuses et riches expériences une série d’ouvrages qui rencontrent immédiatement un franc succès critique et publique. Ils sont compilés dans La nuit Indochinoise, dont le premier tome, Tu récolteras la tempête, parut en 1950. Il faut dire qu’à l’instar de Lartéguy, Hougron se fait le chroniqueur de la fin d’une époque et d’une guerre avec un raffinement de détails qui permet à une France en pleine reconstruction de rêver d’Ailleurs et de se tenir informée, alors que les seules nouvelles d’Indochine proviennent de la propagande outrancièrement partiale du PCF et des filtres de la censure gouvernementale. Comme il ne s’agit pas ici de présenter l’œuvre intégrale de l’auteur on se bornera à mentionner le fait que deux des tomes de La nuit IndochinoiseMort en Fraude et Je reviendrai à Kandara, furent adaptés au cinéma respectivement en 1956 et 1957. Ayant quitté l’Indochine en 1951, il poursuit sa carrière d’écrivain en continuant sa série Indochinoise puis en publiant en 1961 une œuvre d’anticipation/science-fiction Le signe du chien, ouvrage qui lui vaudra, outre un succès en librairie, le Grand-Prix de Science-Fiction en 1981. Mais ceci est une autre histoire…

Le livre :

Tu récolteras la tempête dépeint la vie du village de Takvane, coincé dans une boucle du Mékong  à la frontière du Laos, entre Savanket et Vientiane (Laos). Y sont présentées sans arrière-pensée politique – voire sans opinion – les composantes sociales d’une petite localité dans l’Indochine Française de 1950 alors en proie aux soubresauts indépendantistes Viet Minh qui mèneront à sa dissolution.

L’auteur se sert des yeux de Georges Lastin, un médecin de campagne Français arrivé en Indochine après avoir assassiné sa femme adultère durant l’Occupation, pour présenter la galerie de personnage qui forme la petite société du village. Le passé de Lastin couplé à son intelligence et à sa propre expérience de l’Indochine en font un personnage d’un cynisme froid mais lucide qui éclaire les relations inter-coloniales entre les communautés compartimentées de Takvane mêlant une soixantaine de blancs (hors militaire) et un millier d’indigènes, eux-mêmes répartis entre Laotien, Annamite (Vietnamien), Chinois et Hindous. Tous vivent côte-à-côte mais rigoureusement  différenciés, la plupart du temps fermés les uns aux autres. L’antagonisme principal reste celui opposant les « Blancs » aux « Jaunes », chacune des deux races incompréhensibles à l’autre, les premiers en maitres du pays méprisant et méfiant envers les seconds enferrés dans une déférence hostile et souriante. On retrouve au milieu de l’installation progressive de ce ressentiment réciproque les métis coincés entre le dédain suffisant des Français et l’envie haineuse des Indochinois.

 A travers la relation ambiguë de Lastin avec sa femme vietnamienne, l’auteur évoque également les relations amoureuses coloniales – souvent troubles –  qui superposent une dynamique raciale à la dynamique homme/femme classique dans un couple.  Si l’ascension sociale qu’espèrent obtenir les épouses indigènes forme la toile de fond de la plupart de ces liaisons, l’ouvrage les traite rarement dans un sens unique. Certaines sont relativement harmonieuses et font fi des pressions sociales tandis que d’autres amènent à la dépravation par l’opium, voire même à la mort. Evidemment, le long retour sur la relation de Lastin avec son ancienne femme qu’il a épousé après l’avoir soigné des suites d’un avortement clandestin pour la voir coucher régulièrement avec un officier Nazi ajoute une dynamique dramatique à l’évoquation de ces affaires relationnelles: c’est à cause d’une femme qu’il fut clandestinement parachuté en Indochine après un périple l’emmenant à travers l’Espagne franquiste puis Girbraltar.

 La clairvoyance tranchante qu’Hougron attribue à Lastin permet en outre de dresser un portrait peu flatteur des colons de Takvane, sans qu’il soit à charge comme dans Les civilisés. La galerie de personnages qui en ressort fait état de petits fonctionnaires vaniteux engoncés dans leur suffisance et, pour certains, corrompus ou d’homme de main et d’aventures en quête d’une fortune difficile ; en somme une foule de déclassés de toute sorte symptômes d’un colonialisme français tardif et décadent que ses représentants soient alcooliques, opiomanes, concussionnaires, trafiquants, exploiteurs ou épaves. Leurs entreprises diverses, visant l’enrichissement ou la survie, constituent le canevas narratif du livre et irrigueront de leurs turpitudes aventureuses le reste de l’œuvre de Jean Hougron.

Les autres communautés, bien que moins décortiquées, ne sont pas pour autant en reste entre les Vietnamiens cachant mal leur mépris pour le Laos – vu comme une « colonie de peuplement » pour certains d’entre eux-, les boutiquiers chinois prêts à toutes les compromissions avec toutes les factions pour le profit, les notables laotiens hypocrites mangeant dans la main des français et promettant l’indépendance à leurs administrés, les partisans Viet-Minh de bandes rivales s’écharpant par orgueil et par profit, le Pathet Lao en instrument de la politique vietnamienne en Indochine etc.. En bref, la décadence de l’ordre colonial semble entrainée avec lui le maillage social qui l’a soutenu dans sa décrépitude.

Parmi les sujets abordés par l’ouvrage on trouve finalement la guerre d’indépendance menée par les partisans Viêt Minh et leurs « alliés » laotiens du Pathet Lao qui va crescendo et exacerbe la crainte et le ressentiment entre les populations de Takvane. Le fait même qu’un Français se soit fait kidnappé par les « Viêts » accroit même le sentiment d’inquiétude oppressante qui lie les événements du livre. Hougron se garde bien néanmoins de toute forme de spéculation à ce sujet, se contentant à travers les personnages d’exposer les différents points de vue qui se confrontent : les notables indigènes favorable à la France mais désirant en obtenir plus de pouvoir et de privilèges, les partisans indépendantistes plaquant une idéologie dogmatique sur une réalité qui n’y correspond en rien, les guerilleros pas toujours certains du bien-fondé de leur engagement de tout façon irréversible, les Français sûr de leur supériorité morale et des fondements solides de « l’Empire » sans voir l’érosion de la souveraineté française et au centre les miséreux de toutes les races trop occupés à survivre pour s’impliquer politiquement.

Car Hougron écrit dru, riche et simple, campant ainsi des personnages vrais qui, montrés dans l’action, portent collectivement la description et l’analyse d’une époque à travers leurs aspirations profondes, leurs rêves, leurs idéaux et leurs renoncements. Sous de faux airs de chronique historique, la logique tranchante dans la prose de l’auteur se fond dans une psycho-sociologie fine pour établir un récit teinté d’un exotisme pittoresque qui fait souvent défaut aux romans indochinois précédents.  Ceci est d’ailleurs renforcé par l’écho des troubles humains dans la description d’une nature implacable et violente dont la contemplation ne manque jamais d’agiter l’âme des personnages. Le village gluant de Takvane, ses bananiers et ses paillotes, le climat accablant à la moiteur permanente, le Mékong et ses eaux tantôt paresseuses tantôt impétueuses paraissent être autant de sentences vis-à-vis des destinées médiocres des humains qu’ils environnent. Le tout est rendu possible par le choix de l’auteur de parler sans tabou de sujets pourtant sensible à son époque sans trame narrative classique. On suit en effet les personnages sans ordre logique apparent sans que se dessine un statut de personnage principal ou d’antagoniste dans le récit, en faisant, de fait, une œuvre contemplative et poétique qui laisse malgré tout le lecteur avec une image assez précise de ce que furent les dernières années de l’Indochine Française au Laos.

 Et c’est sans doute sur ce point que l’ouvrage réalise un tour de force : malgré la forme de sa rédaction qui confine parfois au reportage journalistique ou à la chronique historique, il parvient à toucher l’inconscient et la profondeur de la nature humaine. Plusieurs questions irritantes sont ainsi posées par l’auteur qui égrène ici et là des éléments de réponse sur des sujets intemporels car existentiels, composant ainsi Tu récolteras la tempête de la matière dont ont fait les classiques.

De l’écho vietnamien de la guerre en Ukraine – Partie 2 – Le transfert de la rivalité idéologique sur la scène politique nationale et les répercussions économiques.

II) Le conflit ukrainien comme polarisateur politique au sein de la société vietnamienne, quel rôle pour l’Etat-Parti dans la guerre de l’information ?

L’abstention à l’ONU n’est pas le seul élément singulier dans la réaction vietnamienne à l’intrusion russe en Ukraine. La présence de communautés vietnamiennes importantes sur le territoire des deux belligérants a également provoqué des réactions épidermiques  dans une opinion publique qui ne connait que trop bien la douleur de l’exil pour cause de guerre.

Ainsi de nombreuses vidéos de Vietnamiens fuyant Kiev ou passant la frontière polonaise ou tchèque sont parvenus au Vietnam, alimentant par la détresse qu’elle dépeignait, la polarisation politique du pays. En effet, pourtant relativement étrangère au Vietnam sur un plan purement géopolitique, la guerre en Ukraine exacerbe les tensions sur un plan idéologique.

Miniature Youtube issue de la chaine polonaise en langue vietnamienne Pho Bolsa. « Les Vietnamiens de Pologne aident les Vietnamiens d’Ukraine.

Nous l’avons déjà dit plus haut les liens historiques entre Hanoï et Moscou sont restés très consistants malgré l’écroulement soviétique et ont muté avec le temps pour trouver une contenance idéologique et symbolique. Ainsi les plus vieilles générations et la frange conservatrice de la société soutiennent elles sans réserve la ligne du Kremlin en reprenant les grandes lignes de son narratif : les troupes russes interviennent en position de légitime défense face aux poussées de l’OTAN qui menace la sécurité russe et couvre le massacre des populations russophones de l’Est de l’Ukraine. Ceci mélangé avec l’admiration, la gratitude et la nostalgie datant de l’époque soviétique se fond dans une opposition feutrée à certains éléments de la culture occidentale progressiste que certains juges incompatibles avec la culture traditionnelle vietnamienne (mouvements LGBT notamment) et que le président russe pourfend. Sur cette base, l’Ukraine pro-occidental est jugée comme « ingrate » et « traitresse » envers le grand frère russe.

En face, la détresse des réfugiés vietnamiens fuyant l’Ukraine en proie aux bombardements russes et la résistance civile contre l’agression d’un pays souverain amène à tirer des parallèles avec l’agression chinoise contre le Vietnam en 1979 ainsi qu’avec l’attitude relativement agressive de Pékin envers son voisin méridional. Ainsi, une partie de l’opinion publique vietnamienne ressent-elle le coup de force russe en Ukraine comme un potentiel dangereux précédent sur la scène internationale qui, s’il n’était pas combattu, verrait le Vietnam devenir une proie pour la Chine, ce qui ne manque pas de réanimer l’hostilité ancestrale de la population vietnamienne contre l’impérialisme chinois. Sur le plan de la gouvernance, nombreux sont les citoyens vietnamiens à se reconnaitre dans les désirs de la frange libérale de la société ukrainienne voulant mettre à bas les systèmes autoritaires et corrompus hérités de la gouvernance marxiste-léniniste qui émaillent aujourd’hui encore l’actualité politique vietnamienne de ses abus et de ses incuries. Ils souhaitent l’établissement de régimes transparents davantage inspiré par les démocraties occidentales, à rebours donc du modèle russe.

En 2014, l’installation d’une plateforme pétrolière chinosie dans les eaux territoriales revendiquées par Hanoï avait déclenché de violentes émeutes chinoises dans les grands centres urbains. Plusieurs entreprises chinosies avaient été bruléés et plusieurs ressortissant chinois et taïwanais blessés.

Comme nous parlons ici d’un régime d’essence marxiste-léniniste, le Parti-Etat détient le monopole sur les canaux d’informations traditionnels et doit donc s’obliger à produire un traitement du conflit ukrainien à même de contenir les considérations politiques qui pourraient déstabiliser son autorité à l’intérieur du pays ou hypothéquer l’équilibre international que nous avons décrit dans la partie précédente. Aussi la couverture antérieure au début du conflit, relativement pro-russe voire complètement pour certain, changea-t-elle assez radicalement pour devenir plus neutre, plus détaillée voire, pour certaines sources, finement critique de la position russe après le 24 février. En effet, de l’analyse de l’expansionnisme de l’OTAN et de la responsabilité occidentale dans l’escalade du conflit les sujets se sont orientés vers l’analyse des mauvais calculs de Kiev ou de Moscou dans les négociations de paix et la désescalade du conflit, les conséquences économiques du conflit pour le Vietnam ou l’action du gouvernement et la solidarité vietnamienne dans le soutien des réfugiés. Il fallait que la presse institutionnelle soit le principal véhicule de la parole officielle du Parti caractérisée par son expression minimaliste et euphémisante consistant à se dire « profondément concerné » par la situation tout en appelant au respect du droit international en la matière, le tout en développant parfois un discours anti-hégémonique basé sur l’histoire propre du pays sans jamais parler « d’invasion » de l’Ukraine par la Russie. La retenue du pays dans ses engagements est dans ce cadre promu comme la seule solution viable pour maintenir l’ouverture du pays tout en assurant sa relative neutralité.

Pour autant, si ces méthodes pouvaient encore s’avérer efficace pour contenir l’élan populaire il y a une vingtaine d’année, ce n’est plus le cas à l’heure d’internet. Au Vietnam, une grande partie de la population a appris à lire entre les lignes de l’information d’Etat et nombreux sont ceux qui se tournent vers la toile pour s’informer. Ainsi, dès les premiers jours de l’attaque de nombreux groupes facebook (réseaux social le plus utilisé au Vietnam) furent créé d’abord dans l’intention de soutenir les population vietnamiennes jetées sur les routes de l’exil, apportant en cela des témoignages plutôt pro-ukrainien. Dans ce sillage et surtout après l’abstention du Vietnam durant le vote de condamnation de l’intrusion russe, plusieurs groupes de réinformation ou d’information alternative ont émergés sur le réseau social totalisant une douzaine de groupes répartis quasi équitablement entre les citoyens soutenant l’action du gouvernement et ceux critiquant l’approche retenu par le gouvernement.

Bien que ces deux positions ne soient pas des projections exactes des positions pro ou anti – Russie, la neutralité affichée par le gouvernement vietnamien est comprise par une majorité de la population comme une approbation de l’action russe, y compris dans le camp pro-Poutine. Ainsi, lorsque l’on retire de la plateforme les comptes et pages créés et pilotés sur l’ordre du gouvernement afin d’articuler et de mettre en avant sa position nuancée (ce qui implique parfois le relais et l’amplification des actualités produites par le Kremlin et la mise en sourdine de certaines informations concernant l’Ukraine), il apparait que la plupart des « netizens » (contraction des mots anglais « internet » et « citizen », soit citoyen du net) vietnamiens tiennent une position critique vis-à-vis de leur gouvernement. Parmi les raisons que l’on pourrait avancer pour tenter d’expliquer ce contrecoup, il semble que la peur de voir la Chine profiter de la situation pour avancer ses pions au détriment d’Hanoï prédomine. En effet, si Taïwan est souvent évoqué comme prochain objectif chinois, son alliance militaire avec Washington ainsi que la réitération  du président Biden des garanties de protection de l’île par l’US Navy en fait une victime moins probable que le Vietnam qui, malgré son intense activité diplomatique, ne bénéficie d’aucune alliance défensive.

Lors d’une visite au Japon le 23 mai 2022, le président Joe Biden a clairement souligné son intention de soutenir directment Taïwan en cas d’aggression chinoise, laissant en cela entendre que la situation de l’île était différente de celle de l’Ukraine.

En définitive, la guerre en Ukraine est un sujet alimentant les divergences de politique interne au Vietnam entre la faction libérale plutôt pro-occidentale et la faction conservatrice plutôt pro-russe. Le pays est en cela un caisson de résonnance idéologique tout à fait unique en son genre. Au milieu de cette guerre de l’information Ukraine/Russie et de ses relais internes sur les réseaux sociaux, le gouvernement vietnamien cherche à maintenir le statu quo sur la scène internationale mais peine à convaincre ses administrés du bien fondé de ses actions malgré ses manipulations de l’information en ligne. La situation pourrait échapper à son contrôle si la prospérité économique du pays, principal pilier de sa légitimité depuis le Doi Moi, venait à manquer sa reprise après les difficultés nées de la crise internationale du Covid-19.

III) Une économie post-Covid enrayée par la guerre russo-ukrainienne

               De son modèle d’économie industrielle tournée vers l’export, le Vietnam a recueilli de doux fruits depuis l’ouverture du pays en 1986 (de 14 milliards à 271 milliards de dollars de PIB entre 1985 et 2020, part de la population vivant sous le seuil de pauvreté de 52% à 1.80% entre 1992 et 2018) mais s’est également exposé à une situation de grande vulnérabilité aux changements macroéconomiques. Etant donné que les effets du Covid-19 sur l’économie vietnamienne firent déjà l’objet de développement sur le présent blog, ils ne seront ici mentionnés que dans la  mesure où ils seront pertinents quant à l’analyse des répercussions de la guerre en Ukraine sur l’économie vietnamienne.

               Le conflit en Ukraine et les sanctions visant à isoler économiquement la Russie ne touche directement le Vietnam que de façon restreinte. Même si pour l’année 2021 le commerce bilatéral avec la Russie avait atteint 5.5 milliards de dollars (+13.8% en glissement annuel) et avec l’Ukraine 720 million de dollars (+50% en glissement annuel), les deux belligérants ne représente que 4% du commerce extérieur vietnamien. La coupure du système de paiement international SWIFT pour les agents économiques russes pourrait affecter les entreprises opérant depuis le Vietnam en ce que des retards de paiement pourrait grever leurs comptes. De la même façon, l’obstruction de la filière du bois russe devrait durement affecter la filière vietnamienne de la transformation du bois. Plusieurs projets énergétiques réalisés en collaboration avec Moscou ou grâce à des fonds chinois sont également suspendus comme la centrale thermique Long Phu 1, le terminal gazier de Quang Tri ou le parc éolien côtier de Vinh Phong. Le secteur le plus directement et durement touché reste le tourisme étant donné que si les touristes ne représentent que 3,5% des visiteurs étrangers au Vietnam (soit le 6ème pays de provenance de touristes étrangers), ils dépensent quasiment 2 fois plus sur place en moyenne que les autres (1600 euros en moyenne contre 900 euros). Pour des raisons marketing et historique, ils se concentrent d’ailleurs souvent sur les localités de Nha Trang, Phan Thiet, et Phu Quoc, rendant leur absence d’autant plus sensible. A noter d’ailleurs que les agences vietnamiennes ont pour le moment stoppé toute activité marketing vers la Russie, Vietnam Airlines ayant cessé de relier les aéroports russes depuis le 25 mars.

A Nha Trang, ville balnéaire du centre Vietnam, il n’est pas rare de voire les enseignes ou les menus portés des inscriptions en cyrilique étant donné le nombre de touristes russes fréquentant la localité.

               Si ces impacts directs restent limités, les conséquences du conflit ukrainien sur un plan indirect peuvent à la fois être bien plus sérieuses et bien plus longues. Avant de poursuivre plus loin dans les développements, il est nécessaire d’indiquer ici que ces derniers n’ont rien de péremptoire étant donné le manque de recul nécessaire pour démêler les conséquences de la pandémie mondiale que le monde a traversé de celles du conflit ukrainien.

                En effet, le Covid 19 avait déjà perturbé les chaines d’approvisionnement mondial dans tous les domaines d’activité économique. Or, pour un pays comme le Vietnam, dépendant à la fois des flux d’importation et d’exportation pour alimenter son secteur industriel à faible et moyenne valeur ajoutée (textile et électronique notamment). Ainsi, en plus des perturbations passées et présentes de la production dans la région asiatique qui pourraient entraver sa production industrielle et donc sa croissance, le Vietnam – comme le reste des pays du monde – fera face à la surcharge des flux maritimes après la fermeture du port d’Odessa par les autorités militaires ukrainiennes et la fin du trafic non essentiel des plus gros affréteurs mondiaux vers les ports russes. La plupart des marchandises devant transiter par ses ports a été redirigé vers Port Saïd en Egypte et Port Kafez en Turquie, entrainant à la fois une augmentation significative des couts de transport, de chargement et de déchargement et un effet de goulot d’étranglement qui provoque retard et, à nouveau, des surcoûts.

Le port d’Odessa, l’un des principaux de la mer Noire, est une pièce logistique maitresse dans le réseau commerciale maritime d’europe de l’Est et du Nord . (Crédit: Odessa Journal)

               S’ajoute à cela un contexte d’inflation générale et galopante suivant logiquement la création massive d’argent papier dans le but de financer les politiques sanitaires et économiques liées au Covid 19 ainsi qu’une explosion du prix des énergies (+48,8% sur les produits pétroliers au Vietnam) et du blé respectivement liée aux contre-mesures russes et l’impossibilité d’exporter dont souffre Kiev pour le moment. L’ensemble de ces facteurs devraient entrainer une stagnation – voire une baisse à long terme – de la consommation dans les pays acheteurs de produits fabriqués au Vietnam et ainsi réduire les marges à l’export tandis que les couts de fabrication s’envoleront.

               Par effet d’entrainement, les prestataires vietnamiens en milieux de chaine de fabrication – tributaire à la fois des chaines d’importations et d’exportations – se verront donc contraint à un exercice d’équilibre visant à répercuter la majoration des couts sur le prix de vente sans pour autant se priver de leur compétitivité à l’export. Dans le même registre, le commerce interne de produits d’imports subira une hausse de prix, réduisant de fait leur consommation. A noter que le prix des carburants s’est déjà répercuté sur l’indice global des prix vietnamiens, les faisant augmenter d’1, 76% (chiffre de la fin mai). En fin de chaine, l’investissement interne devrait également impacté.

Hormis les effets directs des mesures internationales d’isolement de la Russie, les conséquences à long terme pour le Vietnam sont assez similaire aux perturbations liées à la pandémie de Covid 19. De ce fait, les solutions qui permettraient au pays de rebondir restent les mêmes que celles développées dans l’article concernant l’économie post-Covid au Vietnam vers lequel nous renvoyons le lecteur: https://vinageoblog.wordpress.com/2022/01/16/quelles-perspectives-pour-leconomie-vietnamienne-en-2022/ .

Actualités – De l’écho vietnamien de la guerre en Ukraine (Partie 1: la « diplomatie du bambou » à l’ère des pandas?)

Le 24 février 2022, les troupes russes précédemment massées à la frontière pénètrent sur le territoire ukrainien sous le prétexte de protéger les populations russes des régions de Donetsk et du Donbass. L’émotion est grande de par le monde et l’intrusion de Moscou chez son voisin de l’ouest entraine une série de réactions politiques, économiques et médiatiques visant à isoler le Kremlin sur la scène internationale.

Le contrecoup est particulièrement appuyé dans le monde occidental et notamment parmi les membres de l’OTAN et de l’Union Européenne. Outre le passé urticant de certains de ces pays durant la période soviétique, ceci s’explique également par la peur du retour du spectre de la guerre sur le vieux continent ainsi que par le fait que l’action du Kremlin semble être dirigée contre le modèle de société de type démocratie libérale défendu par le camp occidental.

Une autre nation s’est également illustrée par l’intensité des passions que le conflit a déchainé et ce malgré la distance géographique qui l’en sépare : le Vietnam.  En effet, par « fraternité  communiste » nombreux furent les cadres vietnamiens à avoir bénéficié d’une éducation en URSS et dans ses pays satellites d’Europe Orientale, beaucoup parmi eux ayant d’ailleurs décidé de rester sur place. Ce lien tout à fait spécial s’explique également par l’histoire récente du pays au cours de laquelle Moscou s’est avérée être un soutien indéfectible de la jeune République Populaire du Vietnam que cela soit pour la guerre de « libération nationale » contre le colonialisme français, la « guerre d’unification » contre l’impérialisme américain ou la guerre contre le voisin chinois en 1979. La Russie jouit ainsi d’une aura incomparable au Vietnam et d’un attachement singulier d’une partie de la population, de la classe dirigeante et de l’élite économique.

Affiche de propagande soviétique en faveur de l’amitié avec le Vietnam.

Cette flamme sentimentale et symbolique est par ailleurs tout à la fois entretenue et menacée  par les problématiques concrètes que lui donne le conflit en Ukraine. En effet, l’opposition entre le camp occidental mené par Washington et la ligue défendant la ligne moscovite déstabilise l’équilibre de force précaire tissé par Hanoï sur la scène internationale, s’agissant notamment de sa gestion des tensions avec Pékin en « Mer Orientale » (I). D’autre part, l’antagonisme démocratie-libérale/démocratie-autoritaire qui se cristallise dans cette guerre soulève un débat de société quant aux aspirations profondes du peuple vietnamien et à la capacité du Parti Communiste Vietnamien d’y répondre tout en se maintenant au pouvoir, donnant lieu à une intense bataille de l’information (II). Enfin, et bien qu’il soit encore un peu tôt pour parler de ce sujet de manière péremptoire, nous tâcherons d’entrevoir les impacts probables du conflit ukrainien sur l’économie vietnamienne (III).

I. La « diplomatie du bambou » entre-t-elle dans l’ère des pandas ?

Lors du coup d’envoi du « Renouveau » (Đổi mới) par le Parti Communiste Vietnamien (PCV) en 1986, l’objectif sur le plan international consistait briser l’isolement qui étouffe le pays du fait de l’embargo américain datant de 1975 et des mesures de rétorsion chinoises faisant suite à la guerre sino-vietnamienne de 1979. Le Vietnam n’entretenait alors des relations diplomatiques qu’avec l’URSS et ses satellites d’Europe orientale ou centrale ou avec des pays trop peu influent ou trop pauvre pour le sortir de l’ornière.

Débute dès lors une ouverture diplomatique tous azimut pousser par deux moteurs principaux : 1) la normalisation des relations avec Pékin en 1991 et 2) avec Washington en 1995. S’en suivront des traités avec de nombreux pays ainsi que l’adhésion aux principales institutions internationales et régionales permettant l’inclusion du pays dans les circuits économiques globaux (ASEAN en 1995, OMC en 2007, etc…) . Aujourd’hui encore le corps diplomatique vietnamien affiche une dynamique remarquable et le Vietnam continue d’élargir ou d’approfondir ses cercles de coopérations. Les signatures et mises en application du traité de Libre-échange avec l’Union Européenne ou le RCEP sont ici les deux illustrations récentes les plus parlantes. Les affaires étrangères vietnamiennes le rappellent constamment : le Vietnam se veut l’avis de tout le monde.

Mais certains sont plus des amis que d’autres…

Car si la volonté de la direction vietnamienne est à l’ouverture, elle est contrainte par une série de considérations historiques et géopolitiques qui pèsent sur sa marge de manœuvre ainsi que sur la souveraineté du pays.  Le dossier le plus sensible à ce titre reste la relation avec le grand voisin du nord qui constitue à la fois le principal fournisseur de l’industrie vietnamienne mais aussi un rival de poids s’agissant des différends territoriaux en « Mer Orientale ». Ajoutons à cela que par atavisme, la population vietnamienne est relativement hostile aux actions chinoises, allant jusqu’à créer des troubles internes (comme nous le verrons dans la deuxième partie).

La stratégie vietnamienne consiste ici à se servir de son ouverture diplomatique pour internationaliser le potentiel conflit en Mer de Chine et trouver des partenaires qui réduirait sa dépendance à la Chine populaire, ce qui implique un certain pragmatisme dans le but de trouver un compromis. Mais cela implique également de ne se placer en porte-à-faux avec aucun potentiel partenaire par un quelconque jeu d’alliance. Pour cela, les dirigeants vietnamiens, orgueilleux de l’indépendance et de la souveraineté acquises de haute lutte et soucieux de ne pas retomber dans les jeux d’alliance qui avait pu nuire au pays auparavant et qui pourrait aujourd’hui fermer des opportunités de coopération, ont posé le principe des 3 « non » lors de l’ouverture du pays : non à toute base étrangère sur le territoire vietnamien, non à une alliance militaire et à une association dirigée contre un Etat tiers.

C’est sous le vocable de « diplomatie du bambou » que les officiels vietnamiens aiment à qualifier ce mélange de flexibilité et d’intransigeance permettant d’assurer la sécurité et l’attractivité économique du pays tout en marquant la permanence de certains principes.

Et c’est bien cette stratégie que la guerre en Ukraine perturbe.

Elle marque en effet une contradiction qui pourrait s’avérer indépassable à long terme pour le jeu politique international vietnamien :

La dernière grosse commande vietnamienne à la Russie fut 6 sous-marins de classe kilo dans le cadre de la modernisation de sa flotte de guerre.

Or, Hanoï compta parmi la minorité de pays à s’être abstenu ou à avoir voter en défaveur des sanctions à l’encontre de la Russie lors de l’assemblée des Nations Unies du 2 mars 2022, ce qui, évidemment, ne passa pas inaperçu. Pire encore, loin de manifester sa volonté claire de mettre la Russie au ban des nations, le Vietnam a officiellement annoncé le maintien des exercices militaire conjoints avec Moscou, marquant en cela une intransigeance vis-à-vis de la pression occidentale et notamment des Américains.

Ces derniers pourraient d’ailleurs être amenés à brandir une menace qui a déjà fait fléchir plusieurs pays de la région concernant des contrats d’armement avec la Russie : le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act ou CAATSA.  Votée puis mise en application sous le mandat Trump, cette loi vise à renforcer les pressions déjà existantes contre l’Iran, la Corée du Nord et la Russie en étendant la palette des sanctions aux partenaires de ces pays. Le Pentagone connaissant l’importance géopolitique du commerce d’armes russe en Asie du Sud Est, il s’est empressé de faire pression sur les pays de la zone.  L’Indonésie avait ainsi abandonné le projet de se fournir en avions de combat SU-35 en février 2022 tandis que les Phillipines avaient quant à elles renoncé à l’idée d’acheter des sous-marins russes devant les mesures de rétorsion que Washington envisageait à leur encontre.

Hors Asie, le CAATSA fut utilisé en 2019 afin d’infliger des sanctions à l’Inde et à la Turquie dans le cadre de l’achat par ces pays des systèmes russes de missiles sol-air S400.

Si le dispositif existe, il parait pourtant improbable qu’il soit activé pour le moment par Washington à l’encontre du Vietnam, et ce pour plusieurs raisons :

  1. Les instances américaines sont au fait de l’importance de l’armement russe dans les arsenaux vietnamiens mais aussi des pesanteurs qui pèseraient sur l’armée vietnamienne même dans le cas où le PCV déciderait de changer drastiquement ses fournisseurs d’armes:

A) Bien qu’en constant progrès, le budget vietnamien ne permet pas aux intendants de l’armée d’envisager l’achat à grande échelle de matériel occidental et/ou coréen et japonais étant donné les prix bien plus avantageux des fabricants russes ;

B) Les liens entres les cadres civils et militaires de l’armée vietnamienne et leurs homologues russes sont si profonds qu’ils provoqueraient une résistance latente et durable au changement aussi bien sur une base idéologico-historique que sur les avantages pécuniaires directs qu’ils retirent de ces échanges.

C) depuis la fin de l’embargo américain sur les armes, le ministère vietnamien des armées a déjà commencé à diversifier ses achats dans divers secteurs de l’armement en se fournissant auprès de pays alliés aux Etats-Unis tels Israël, la Corée du Sud ou le Japon. A noter également que l’hostilité entre les états russes et ukrainien avait déjà perturbé la livraison de matériel militaire, Hanoï ayant du renégocier les contrats des moteurs de frégate Guepard produits en Ukraine.

D) L’acquisition de nouveaux systèmes ou de nouvelles plateformes de combat nécessiterait une révision quasi intégrale des entrainements et formations d’un personnel habitué de longue date au matériel russe, s’agissant notamment des fusils d’assaut.

  1. Le fait de voir les soldats vietnamiens utiliser des armes russes ne retire rien au fait que ses armes sont susceptibles d’être utilisées contre un de leur rival (à savoir la Chine), sans doute l’argument maitre de Moscou afin d’éviter que Pékin ne s’impose chez son voisin du sud dans ce domaine.
  2. Au vu des expériences passées, faire pression sur le Vietnam à propos de sujets touchant sa souveraineté et/ou son indépendance pourrait s’avérer contre-productif. Hanoï avait ainsi annulé des exercices militaires conjoints avec Washington en 2019 afin de manifester son agacement de voir les Américains constamment le presser pour acheter son matériel militaire.
  3. Le CAATSA en lui-même est un texte décrié autant au sein des institutions américaines. Donald Trump avait jugé que la loi laissait au Congrès la possibilité d’empiéter sur le domaine réserver à l’exécutif, les « Colombes » qu’elle empêchait de trouver des issues diplomatiques aux conflits et les « Aigles » qu’elle n’était pas apte à produire des réseaux d’alliance cohérents (les sanctions envers l’Inde furent pour eux contre-productif), situation pour laquelle le Vietnam est le meilleur exemple. Parmi les alliés de Washington, plusieurs estiment que la loi est contraire au droit international en ce qu’elle constitue une atteinte à la souveraineté des pays. De ce fait, le consensus que requérait l’emploi du CAATSA à l’encontre du Vietnam, vu comme un des plus importants partneaires de la région, semble être difficilement atteignable pour le moment.

Pour toutes les raisons précédemment évoquées, le CAATSA ne pourrait être appliqué mais pourrait constituer un argument de négociation avec le Vietnam afin d’en faire un point de pression indirecte sur la Russie et de poursuivre plus avant le processus d’isolement de Moscou. Pour ce faire, il faudrait néanmoins du doigté à l’administration Biden pour ne pas braquer ses homologues vietnamiens et ce d’autant plus que le sujet du conflit ukrainien fut et constitue encore aujourd’hui un puissant réactif dans les débats d’idée sur la scène politique vietnamienne.

Quelles perspectives pour l’économie vietnamienne en 2022 ?

« Nouveau miracle asiatique[1] », « l’étoile brillante de l’Asie[2] », « l’économie que la covid-19 n’a pas pu stoppée[3] » telles furent les formules utilisées par la presse internationale pour saluer les performances de l’économie vietnamienne en pleine crise sanitaire. En plus d’être le seul pays du sud-est asiatique à afficher une croissance positive pour l’année 2020 (2.9%[4]), le gouvernement vietnamien pouvait se targuer d’une gestion de l’épidémie à la fois efficace et transparente[5] (au moins jusqu’à juillet 2021 et le variant delta). Pour autant, la stratégie « zéro cas » d’abord envisagée par les autorités dut être abandonnée après l’explosion des contaminations à Hanoï et Ho Chi Minh-Ville cet été[6]. De la même façon, et ce malgré les bons résultats affichés, le Vietnam a connu ses plus grosses difficultés économiques depuis l’ouverture du pays en 1986[7] du fait de la Covid 19. Au vu de ces changements décisifs et alors que le variant Omicron semble jeter l’ombre de nouvelles quarantaines sur les pays occidentaux et asiatiques, il convient de se demander de quoi le futur de l’économie vietnamienne sera fait. Afin de saisir la teneur des changements qu’a engendré l’apparition du coronavirus sur la scène internationale, il faut d’abord de retracer le parcours économique du Vietnam depuis le « Renouveau » (« Đổi mới » en vietnamien) ouvert en 1986 lors du sixième congrès du Parti Communiste Vietnamien (PCV) (I) a.) puis de définir le modèle qui prévalait jusqu’à l’avènement de la crise sanitaire (I)b.). Sur cette base et à l’aune de ce que le contexte permet ou non, il conviendra d’analyser les impacts sanitaires dont souffrent les agents économiques au Vietnam (II) a.) avant de conclure sur les mesures qui pourraient permettre à Hanoï de se relancer au mieux (II) b.).

I) Le Vietnam ante-Covid : objectif à long terme et modèle économique.

A) La dynamique économique initiée par le Doi Moi .

Lorsque se réunit le VI plénum du Parti Communiste Vietnamien (PCV) en décembre 1986, la situation du pays est critique, voire intenable. Le Vietnam fait en effet face à plusieurs problèmes graves et disposent de peu de ressources pour y faire face.

Sur le plan externe d’abord, le Vietnam souffre d’un isolement diplomatique cruel car à la fois sous le coup d’un embargo américain depuis la fin de la guerre de réunification en 1975 et de l’hostilité chinoise depuis que les deux pays se sont affrontés entre le 17 février et le 16 mars 1979. S’ajoute à cela la mauvaise image qu’avait propagée à l’international la crise migratoire de 1979 connu sous le nom de « boat people » qui vit près de 1.6 million de citoyens vietnamiens quitter le pays en 10 ans et ce dans des conditions affreuses[8]. Aussi, ne restaient comme partenaires diplomatiques et économiques à Hanoï que le « grand frère soviétique » et ses pays satellites d’Europe de l’Est, ce qui, d’un point de vue géographique n’allait pas sans difficultés étant donné l’éloignement[9]. Cette entente sera bouleversée par la fin de l’ère Brejnev et le début des réformes d’Andropov puis de Gorbatchev appelant à davantage de transparence politique tandis qu’Hanoï maintenait une ligne marxiste-léniniste « orthodoxe[10] ».

Sur le plan interne ensuite, le pays souffrait des conséquences de 50 ans de guerre quasi-ininterrompue : infrastructures de tout type insuffisantes en raison des destructions, moyens de productions détruits ou obsolètes, problème de qualification de la main d’œuvre, rationnement, fuite des cerveaux, etc… Cette précarité de la subsistance pour la population se doublait de lourds problèmes de gestion par les autorités publiques menant très souvent à la contrebande et à la corruption. En bref, les fonctionnaires détenant les réseaux de production ou de distribution organisaient le marché noir à leur propre profit. A noter enfin que le processus de collectivisation des moyens de production dans le sud après la réunification du pays était laborieux, ce qui posait également des problèmes en matière de productivité, surtout dans le secteur agricole.

L’ensemble de ces facteurs a conduit à un mécontentement généralisé et à une chute de la légitimité du Parti y compris dans ses propres rangs. On peut noter ici l’exemple de Mme Binh, petite fille du leader nationaliste Phan Chu Trinh et représentante du Viêt Cong lors des négociations de Paris tenant au retrait des troupes américaines, qui, dans Ma Famille, Mes Amis, Mon Pays décrit assez crument ces difficiles années[11]. Devant le péril éminent, les dirigeants du PCV décident donc d’opérer un changement drastique dans le domaine économique, appelé « Đổi mới » (« Renouveau » en vietnamien), en privatisant le domaine agricole et une partie des entreprises détenues par l’Etat ainsi qu’en garantissant la propriété privée et la liberté d’entreprendre (y compris pour les étrangers). S’en suivra une ouverture diplomatique tous azimut que nous marquerons ici par les pierres blanches de la normalisation des rapports avec Pékin en 1991 puis avec Washington en 1995, l’intégration de l’ASEAN en 1995 et de l’OMC en 2007.

Exhibition "Renovation - Journey of dreams" to be launched
Affiche de propagande en faveur du Doi Moi avec pour slogan « Comprendre la réalité, savoir rêver, sous la direction du Parti, une jeunesse bien éduquée. »

Pour autant, devant les effets subversifs des réformes lancées par Gorbatchev en URSS– et notamment les manifestations étudiantes sur la place Tienanmen en 1989 – le gouvernement vietnamien n’entend pas doubler ces réformes économiques de réformes politiques drastiques. Le Parti reste le seul acteur politique toléré, ce qui implique le maintien des monopoles publiques sur les médias et certaines secteurs stratégiques de l’économie, ouvrant la voie à l’« économie de marché à orientation socialiste».

B) Le modèle vietnamien d’« économie de marché à orientation socialiste ».

D’abord introduite dans la constitution de 1992, cette conception économique recouvre en fait une réalité relativement simple à décrire et apparentée aux réformes entreprises en 1976 en Chine Populaire par Deng Xiaoping qui résumait l’abandon du système collectiviste avec la maxime suivante : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, s’il attrape la souris, c’est un bon chat »[12].

Il s’agit ainsi de mettre au service du PCV le potentiel économique vietnamien régénéré par les flux de capitaux étrangers. Pour ce faire, les dirigeants vietnamiens vont implanter le modèle dit du « vol d’oies sauvages[13] ». Théorisé par le japonais Kaname Akamatsu en 1937, ledit modèle a été mis en place par tous les « tigres » et « dragon » asiatiques suite à la seconde guerre mondiale et offrait donc un volume conséquent d’expériences exploitables pour les planificateurs du PCV[14].

Le « vol d’oies sauvages » est une allégorie de la stratégie suivante : pour industrialiser progressivement un pays, il faut commencer par produire en masse des biens à faible ou moyenne valeur ajoutée mais nécessitant une grande quantité de main d’œuvre[15]. Il s’agit ensuite de réinvestir les bénéfices ainsi perçus afin de procéder à une montée en gamme de la production vers des biens à valeur ajoutée plus importante. En plus des bénéfices tirés de la valeur ajoutée par la fabrication, de l’export et des salaires versés, le pays hôte peut assortir l’autorisation à investir de diverses conditions tenant à l’emploi, aux conditions de travail, à la formation des employés ou aux transferts de technologies ou de savoir-faire[16]. Evidemment ce système repose sur deux conditions pour fonctionner : l’attraction des Investissements Directs Etrangers (IDE) et l’export des biens produits[17].

ANALYSE : Ces oies sauvages dont le vol annonce la prochaine offensive des  montres chinoises sur les marchés européens...
Schéma explicatif de la doctrine de développement en « vols d’oies sauavges »

Le moins que l’on puisse dire c’est que le Vietnam excella dans l’application de ces principes, affichant de très bonnes performances économiques même en temps de crise économique (1997 crise asiatique et 2008 onde de choc de la crise des subprimes aux Etats Unis). Le pays s’est ainsi progressivement éloigné de la place qu’il occupait dans le classement des 10 pays les plus pauvres au monde en 1990. Pour citer quelques chiffres, le PIB vietnamien atteignait péniblement les 14 milliards de dollars en 1985 tandis qu’il caracole à plus de 271 milliards pour l’année 2020[18]. Dans la même veine la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté (moins de 1 dollar/jour) est passée de 52% en 1992 à 1.80% en 2018[19].

Il faut dire qu’en plus d’utiliser un modèle qui a fait ses preuves, le Vietnam dispose de plusieurs atouts permettant ce développement parfois qualifié de miraculeux : population jeune, main d’œuvre abondante et peu cher donc faible coût de fabrication, stabilité politique, position géographique avantageuse (proximité de la Chine et de pays dit « développés » tels que le Japon ou la Corée), façade maritime étendue. Le pays se positionne même en tant que « Chine+1 » dans le sens où il offre tous les avantages que son voisin du nord aux investisseurs étrangers sans leur faire courir le risque d’une mesure de rétorsion diplomatique suite à des différents d’ordre politique[20]. Ainsi, et même si cela n’a rien d’automatique, certaines manufactures ont été déplacées de la Chine vers le Vietnam après le début du bras de fer commercial sino-américain voulu par Donald Trump en réponse à ce qu’il estimait être une politique commerciale déloyale de la part de Pékin.

A noter que ce système présente malgré tout des failles et des inconvénients. Sans rentrer plus avant dans les détails, on notera que comme tout système tourné vers l’export, les chaines de valeurs nationales se concentrent autour des grandes métropoles intégrées au circuit global, créant de ce fait une disparité de revenus par habitant relativement marquée en fonction de la position géographique[21]. Ces inégalités sont souvent aggravées par le déficit d’infrastructures, surtout dans les zones montagneuses du Centre et du Nord[22]. Pour pallier ces problèmes, le gouvernement mise sur l’implantation de « zones franches » (procédures administratives simplifiées et avantages fiscaux pour les investisseurs étrangers dans la zone). L’autre inconvénient majeur de ce type d’économie extravertie est sa dépendance aux fluctuations de l’économie globale aussi bien en début de chaine, lorsqu’il s’agit d’acheter des matières premières pour les besoins industriels, qu’en fin étant donné que sans débouchés commerciaux, il est impossible d’écouler le surplus de biens produits. Le Vietnam souffre notamment d’une trop grande dépendance vis-à-vis de son grand voisin du nord en termes d’approvisionnement[23], ce qui ne manque pas de régulièrement créer des remous au sein d’une opinion publique très souvent hostile à la Chine Populaire et accusant parfois la direction vietnamienne d’une trop grande complaisance à son égard[24].

Avant de voir en quoi la Covid 19 a bouleversé ou non cette stratégie, occupons-nous à dresser un instantanée de la situation économique du pays en 2019, c’est à dire avant l’apparition de la crise sanitaire. Le Vietnam affichait une croissance de 7% (dans la moyenne des résultats des années précédentes)[25] reposant sur deux piliers principaux : l’attraction des capitaux étrangers (près de 11 milliards de dollars, +86.2 comparé à 2018) et l’export (264 milliards de dollars, + 8.64%, 106,8% du PIB Vietnamien)[26]. Le pays a affiché une balance commerciale excédentaire à hauteur de 11 milliards de dollars, principalement grâce aux bénéfices réalisés à l’export vers les Etats Unis (+47 milliards) et l’Union Européenne (+26 milliards) compensant les déficits enregistrés avec les pays de l’ASEAN (- 7 milliards), la Corée du Sud (-27 milliards) et la Chine (-34 milliards)[27]. Les produits manufacturés dans les secteurs du textile et de la fabrication de chaussure, de la machine-outil et de l’électronique constituent l’écrasante majorité de la valeur perçue à travers les activités d’exports[28]. A noter cette réussite tient également, mais dans une moindre mesure, à l’export de produits agricoles, notamment vers la Chine[29]. Le tourisme représentait quant à lui 9.2% du PIB.

Une fois ces quelques repères posés appliquons nous à étudier les effets de la crise sanitaire sur l’écosystème économique vietnamien.

II) Assurer la pérennité du modèle en temps de crise sanitaire.

A)De la résilience de l’économie vietnamienne et de ses limites.

Nous l’avons déjà mentionné en introduction, la presse internationale fut dithyrambique quant à la gestion vietnamienne de la crise sanitaire, à la fois efficace, rapide et transparente, permettant ainsi au pays d’afficher 2.9% de croissance pour l’année 2020 dans une Asie du Sud Est en proie à la récession. Malgré (ou à cause du ?) le changement de tactique quant à la question sanitaire ( de « zéro cas » à « vivre avec le virus »), les 2.58% de croissance obtenus en 2021[30]  restent la pire performance économique du Vietnam depuis le Đổi mới . Avec la menace que fait planer le variant Omicron, il semble peu probable que la situation s’améliore de façon sensible en 2022.

Du fait de son économie extravertie le Vietnam a souffert, souffre et souffrira à la fois des problèmes d’approvisionnement en matières premières – venant notamment de Chine – mais aussi et surtout d’une baisse tendancielle et à long terme de la consommation dans les pays qui constituent ses principaux débouchés commerciaux en raison de leurs propres difficultés économiques. Cela entraine ainsi un manque à gagner à l’export pour les agents économiques au Vietnam mais aussi des surcouts tenant à la logistique et à l’approvisionnement[31]. Evidemment, ces perspectives impactent directement les IDE étrangers dans le pays.

Le gouvernement vietnamien a donc également fait montre de célérité dans le domaine économique en mettant très vite en place un groupe de travail chargé de contrer les effets néfastes de la Covid 19 sur l’économie par le maintien de l’attractivité du pays pour les multinationales afin de sécuriser l’afflux d’IDE et de stimuler les exportations[32]. A ce titre, les relatives bonnes performances du Vietnam quant à la gestion de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques ont forgé une solide image de marque pour le pays. Il ne devrait donc pas y avoir de problèmes majeurs dans ce domaine à court et moyen terme. En effet, malgré les baisses successives enregistrées dans la captation des IDE (-2% en 2020[33] et -1.2% en 2021[34]), les promesses d’investissement sur l’année ont bondi de 9.3%[35]. A noter ici que plusieurs succès ont déjà été constatés avec le déplacement par Inventec (assemblage des airpods) ou Nintendo (jeux vidéo) de plusieurs unités de production vers le sol vietnamien.

S’agissant des exportations, les divers abattements fiscaux ou reports de délai de paiement de taxe semble également avoir permis de sauver de la faillite quelques entreprises et de stimuler la production tournée vers l’exportation. Mais soyons clair : l’ouverture et la dépendance envers le marché global ne laissent aux dirigeants vietnamiens guère de leviers pour juguler les fluctuations de l’économie internationale et leurs impacts profonds sur l’économie nationale[36]. Si le chômage continue d’augmenter aux Etats Unis et provoque donc le ralentissement de la consommation sur ce marché, il n’est rien que le PCV puisse faire. Nous verrons cependant dans la section suivante que cette situation présente un certain nombre d’opportunités à saisir pour les agents économiques vietnamiens. Malgré tout, la croissance des exports a atteint ainsi près de 5% pour 2020[37].

En contraste avec les journalistes étrangers, les propos tenus en langue vietnamienne furent bien plus mesurés quant à la situation économique. En effet, l’année dernière près de 31,8 millions des 54 millions d’actifs (soit 59%) ont vu leurs revenus chuter à cause de la Covid-19[38], et ce, malgré seulement 22 jours de confinement total et une aide gouvernementale de 27 trillions de Dông (soit environ 970 millions d’euros)[39] avant les confinements stricts de Hanoï puis de Ho Chi Minh-Ville suite à l’irruption du variant Delta au Vietnam dans le courant de l’été 2021. 35 000 banqueroutes ont été enregistrées dans le même laps de temps, certaines entreprises n’ayant pu avoir accès au 16 trillions de Dông de soutien aux entreprises[40]. Rappelons d’ailleurs ici que 20 à 30% de l’économie vietnamienne est constituée d’activités informelles, empêchant de fait certains particuliers d’accéder aux aides publiques[41]. Il est ainsi assez difficile d’estimer dans quelle proportion la pauvreté, passagère comme durable, a progressé au Vietnam. Si ce phénomène de stagnation/marasme sociale devait se maintenir, la fin de la croissance rapide du marché immobilier entraînerait également un risque grandissant de multiplication des créances douteuses dans le bilan des banques vietnamiennes[42].

Cette contraction générale du pouvoir d’achat fait également peser des menaces sur la santé de la consommation intérieure (68% du PIB) qui fut le véritable pilier de l’économie vietnamienne en ces temps d’incertitude[43]. Le pays a pu en cela compter sur sa classe moyenne émergente, sur la bonne anticipation de la situation par la population[44] ainsi que sur l’envoi conséquent de capitaux de la diaspora (12.5 milliards de dollars en 2021, +10% comparé à 2020[45]) pour absorber une partie de la production impossible à exporter. Notons également que les plans de soutien de la consommation par le gouvernement sont rendus possibles par un endettement public relativement faible ainsi que par une épaisse réserve de devises issues du commerce extérieur[46].

Malheureusement, la consommation nationale, se focalisant d’abord sur les produits essentiels, ne peut se substituer à la demande internationale dans le secteur touristique (12.4% du PIB en 2020) qui demeure sans doute le secteur le plus sinistré avec un recul de près de 57% des recettes annuelles en 2019 et entre 35 et 48% en 2020. Comme pour les exportations, le gouvernement ne dispose que de très peu de moyens d’action dans ce domaine. Suivent ensuite le secteur de la culture et des arts (-23% depuis le début de la crise) et celui de la vente au détail et en gros (-11.3%)[47]. On notera ici que ce dernier chiffre est à nuancer dans le sens où une grande partie des activités de vente au détail passe désormais par le e-commerce qui a connu un véritable « boum » en 2020 (+18%) pour atteindre 11.8 milliards de chiffre d’affaire fin 2021[48]. Selon plusieurs rapports, cette tendance devrait se poursuivre peu importe les scénarios sanitaires pour atteindre environ 30 milliards de chiffre d’affaires en 2025[49].

               Enfin, le variant Delta ainsi que les 3 mois de confinement strict qu’il a entrainé dans les régions d’Hanoï et d’Ho Chi Minh-Ville au cours de l’été dernier ont provoqué une situation de manque de main d’œuvre à faible coût jusqu’alors inédite au Vietnam. En effet, pris de court par l’impossibilité de maintenir la politique « 0 cas » jusqu’alors en vigueur, le gouvernement vietnamien enjoignit aux entreprises de mettre en place plusieurs mesures visant à limiter les contaminations des ouvriers (restauration et/ou repos sur le lieu de travail, prise en charge de transports du lieu de travail au lieu de vie, etc.) sous peine de se voir imposer une fermeture temporaire[50]. Beaucoup d’entreprises jugèrent ces adaptations trop complexes à mettre en place et préférèrent fermer leurs portes (voire changer de pays de production pour certaines[51]). Aussi, beaucoup d’ouvriers se retrouvèrent soudainement confinés dans les centres urbains sans salaire. Or, une grande majorité d’entre eux viennent de régions pauvres du Centre du Vietnam. Par conséquent, une fois les restrictions sanitaires levées, un grand nombre de travailleurs retournèrent dans leur province d’origine et, de peur d’être à nouveau bloqué, ne souhaite plus travailler dans les centres industriels du pays du Centre ou du Nord.  Ajoutons qu’en raison du dynamisme économique de ces dernières années, la main d’œuvre vietnamienne est particulièrement volatile[52], ce qui pourrait signifier l’extension du problème de carence en travailleurs dans les secteurs les plus touchés par la Covid 19.

Migrant exodus sparks worries over Ho Chi Minh City labour squeeze |  Financial Times
Une scène d’exode des travailleurs du secteur manufacturier retournant dans leur province d’origine après la levée des quarantaines strictes à Ho Chi Minh-Ville.

              Une fois tous ces éléments analysés, étudions comment le gouvernement vietnamien pourrait agir pour améliorer la situation.

B) Rebondir en 2022

Les développements précédents nous permettent ainsi d’avancer que le statut et la stratégie du Vietnam ne devraient pas changer drastiquement à ce stade de la pandémie. Certes les performances ont pâtis de la fermeture des marchés d’imports et d’exports, mais cela ne remettra pas en cause le cap de la direction vietnamienne. A noter d’ailleurs que, s’agissant des deux piliers de la politique de « l’envol d’oies sauvages » – à savoir l’attraction des IDE pour faire prospérer les exportations manufacturières -, les planificateurs vietnamiens ne disposent finalement que de moyens d’action limités pour contrer une tendance de fond globale.

Sur la plan extérieur d’abord, Hanoï ne peut que chercher à maximiser ses atouts tenant à sa diplomatie et à sa bonne image. L’année a d’ailleurs bien démarré dans le cadre du 1er volet avec, entre autres, l’entrée en vigueur du RCEP en date du 1er janvier (article à venir), la visite historique d’un navire de guerre allemand à Ho Chi Minh-Ville le 6 janvier[53] (qui devrait marquer une étape supplémentaire dans la coopération entre les deux pays) ou encore l’intensification récente des échanges avec l’Inde et l’Australie. En maintenant ainsi un maximum de portes ouvertes avec une palette de partenaires divers, le Vietnam se façonne une marge de manœuvre propre à lui permettre une adaptabilité que ne peuvent revendiquer les économies concurrentes de la région.

S’agissant des bénéfices qu’il pourrait tirer de son aura sur la scène internationale, le pays peut compter et communiquer sur un taux de vaccination relativement bon (80% de la population à deux doses, d’ici à la fin du premier trimestre 2022[54]), ce qui, bien que n’empêchant pas les contaminations et les troubles qui y sont liés, permettra la mise en place d’un protocole sanitaire moins lourd que si ce n’avait pas été le cas. Dans la même veine, l’éventuelle commercialisation d’un vaccin « made in Vietnam » pourrait renforcer cette image. Partant, les frustrations telles que celles causées auprès des investisseurs par le changement soudain de politique sanitaire au sein des unités de production pourront être anticipées et dissipées sur la base d’une « feuille de route » sanitaire permettant davantage de prévisibilité et donc moins de perturbations dans les activités. C’est d’ailleurs cette visibilité qui permettrait sans doute au gouvernement vietnamien de faire revenir les travailleurs dans les centres urbains et industriels et donc d’enrayer les pénuries de main d’œuvre.

Au-delà des deux actions précédemment évoquées, la crise actuelle du Covid 19 et la pression économique internationale qu’elle engendre poussera certains secteurs d’activité à s’adapter au Vietnam, ce qui pourrait notamment se traduire par une mise à niveau des produits avec les standards internationaux. A titre d’exemple, une grande partie de la production de masques au Vietnam fut améliorer afin d’être conforme aux standards internationaux et donc exportée vers les pays demandeurs au cours de l’année 2020. Les acteur économiques vietnamiens pourraient de cette façon élargir leurs débouchés, gagner en marge bénéficiaire et multiplier leurs options en cas de nécessité à s’adapter. Cette réflexion ne touche d’ailleurs pas que la question des produits puisque l’effet de la crise touche également la structure des marchés et donc leur modèle de production. Ainsi, étant donné la composition du secteur textile/habillement vietnamien comptant 50% de petites et moyennes et petites entreprises nationales et la dynamique de concentration des moyens de production du fait de la disparition de certains acteurs, l’occasion pourrait se présenter de faire passer la production nationale du stade Cut, Make, Trim (ou CMT) au stade Free On Board (FOB), à valeur ajoutée supérieure.

Les chaines de valeur dans le secteur textile avec ses différentes étapes.

Ce mouvement vers une amélioration des standards à des fins de profit n’épargne d’ailleurs pas l’action du gouvernement qui doit, selon le jargon en usage dans la presse du Parti, « améliorer l’efficacité de l’investissement public ». En effet, plusieurs choix stratégiques peuvent être faits afin d’améliorer la chaine logistique sur le territoire vietnamien afin d’y réduire un éventuel surcout et de faire mieux que la concurrence régionale sur ce point.

 On peut même s’appesantir sur ce point étant donné que c’est cet aspect de la crise sanitaire qui peut avoir été le plus impacté et sur lequel le gouvernement a le plus grand rôle à jouer. En effet, comme expliqué précédemment, la légitimité du PCV repose aujourd’hui en grande partie sur sa capacité à garantir une relative prospérité à la prospérité qui, en retour, était prête à subir tous les inconvénients que ne manque pas d’engendrer une gouvernance de type marxiste-léniniste : népotisme, corruption, détournement de fonds publics, liberté d’expression restreinte, etc… Or, s’il se trouvait que les répercussions de la crise sanitaire affectent trop longtemps et trop profondément le marché intérieur et plongent une trop grande partie de la population dans le marasme économique, sans doute la stabilité politique du pays en serait-elle compromise, pénalisant ainsi les capacités d’attraction d’IDE du pays.

La direction vietnamienne dispose néanmoins ici d’un grand nombre de moyens d’action ainsi que des ressources nécessaires et a déjà su se montrer très pragmatique pour garder intact son contrôle sur la société. L’action motrice de l’administration pourrait ainsi se manifester à divers stades des processus économiques.

Certaines interventions pourraient s’en tenir à un rôle purement administratif afin de permettre de lisser les inégalités géographique nationale comme la digitalisation de l’accès aux aides aux particuliers ou aux entreprises afin a) de limiter les incertitudes et les risques, b) d’éviter l’intervention de multiples couches administratives propice à la corruption (galopante au Vietnam[55]) et c) d’accélérer le plan gouvernemental visant à abolir la condition d’enregistrement de la résidence auprès des autorités locales pour préférer la condition de citoyenneté. Hanoï pourrait également chercher à faciliter les retours de capitaux venant de la diaspora vietnamienne établie à l’étranger par divers stimuli administratifs ou fiscaux.

Le gouvernement pourrait ensuite accompagner certaines tendances économiques afin d’en maximiser les effets. On pense ici notamment au développement du e-commerce en essayant de l’orienter vers la production nationale tout en mettant en place un système fiscal à même de permettre à l’Etat d’engranger les recettes fiscales y correspondant. L’Etat joue également un rôle pivot concernant l’évolution du marché de l’emploi et pourrait mettre en place un système de formation et de recherche d’emploi (si possible numérique) afin de a) former les personnes qui le souhaite dans des secteurs en demande de main d’œuvre, b) permettre une qualification supérieure des travailleurs, préludes nécessaires à la montée en gamme de la production et c) donner la possibilité aux travailleurs de trouver ou créer un nouvel emploi facilement en cas de nouveau marasme économique.

Enfin, des outils d’intervention directs permettraient de juguler des problématiques à court terme. Mettre en place un programme de travail public dans les régions les plus sinistrés économiquement afin de procéder aux opérations de maintenance de certains ouvrages logistiques en ayant besoin ou des travaux d’intérêt public. Pour exemple, voire le programme India’s National Rural Employment Guarantee Scheme[56]. Permettre l’accès au micro crédit avec des garanties étatiques afin de soutenir les entreprises familiales – dont dépendent parfois un foyer entier – aussi bien que les entreprises du secteur informel constituent un autre axe de soutien au marché intérieur.


[1] https://www.nytimes.com/2020/10/13/opinion/vietnam-economy.html

[2] https://www.bbc.com/news/business-54997796

[3] https://www.economist.com/finance-and-economics/2021/08/30/the-economy-that-covid-19-could-not-stop

[4] https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=VN

[5] Mai TRUONG, « Vietnam’s COVID-19 Success Is a Double-Edged Sword for the Communist Party », The Diplomat, publié le 6 août 2020, disponible sur https://thediplomat.com/2020/08/vietnams-covid-19-success-is-a-doubleedged-sword-for-the-communist-party/

[6] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210823-covid-19-au-vietnam-confinement-strict-%C3%A0-h%C3%B4-chi-minh-ville-de-deux-semaines

[7] https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=VN

[8] Alexandra CASELLA, Managing the « boat-people » crisis: the Comprehensive Plan of Action for Indochinese Refugees, Desperate Migration Series NO.2, International Peace Institute, Octobre 2016

[9] Céline Marrangé, Le communisme vietnamien, Presse de Science Po, 2012, p.377-384.

[10] Ibid.

[11] https://vinageoblog.wordpress.com/2016/07/17/ma-famille-mes-amis-et-mon-pays-memoires-nguyen-thi-binh/

[12]https://www.lorientlejour.com/article/222418/Peu_importe_la_couleur_du_chat%252C_pourvu_quil_attrape_des_souris_%2528photo%2529.html

[13] https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2015-1-page-13.htm

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Ibid.

[18]https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=NY.GDP.MKTP.KD.ZG&codePays=VNM&codeTheme=2

[19]https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=SI.POV.DDAY&codePays=VNM&codeTheme=2

[20] Les exemples se multiplient ces dernières années avec les Ouïghouts du Xinjiang ou la répression des manifestations pro-démocraties à Hong-Kong.

[21] Jean-Phillipe EGLINGER, « Vietnam : les autorités face aux enjeux économiques et sociaux de l’après Covid.», Asia Centre, publié le 24 avril 2020

[22] Ibid.

[23] https://www.pwc.com/vn/en/publications/2020/pwc-vietnam-covid-19-vietnam-economy-and-export.pdf

[24] https://thediplomat.com/2018/06/vietnam-mass-protests-expose-hanois-china-dilemma/

[25] https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.KD.ZG?locations=VN

[26] https://www.pwc.com/vn/en/publications/2020/pwc-vietnam-covid-19-vietnam-economy-and-export.pdf

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] https://asia.nikkei.com/Economy/Vietnam-real-GDP-growth-slows-to-2.58-in-2021-as-pandemic-drags

[31] https://www.pwc.com/vn/en/publications/2020/pwc-vietnam-covid-19-vietnam-economy-and-export.pdf

[32] Chi HIÊU, Thành lập tổ công tác đặc biệt về thu hút các tập đoàn đa quốc gia, publié le 23 mai 2020, disponible sur https://thanhnien.vn/tai-chinh-kinh-doanh/thanh-lap-to-cong-tac-dac-biet-ve-thu-hut-cac-tap-doan-da-quocgia-1227852.html?fbclid=IwAR1gbDV-seII-JqU8X81WCp6ogDmFbYVvolRnuzFEmOh4BN6T9piJe7FwYo

[33] http://hanoitimes.vn/actual-fdi-in-vietnam-down-2-to-us20-billion-in-2020-315636.html

[34] https://tradingeconomics.com/vietnam/foreign-direct-investment

[35] Ibid.

[36] https://journals.eco-vector.com/2618-9453/article/view/87071

[37] https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.KD.ZG?locations=VN

[38] Jean-Phillipe EGLINGER, « Vietnam : les autorités face aux enjeux économiques et sociaux de l’après Covid.», Asia Centre, publié le 24 avril 2020.

[39] https://www.mckinsey.com/featured-insights/asia-pacific/emerging-from-the-pandemic-vietnam-must-position-itself-for-recovery

[40] https://euraseans.com/index.php/journal/article/view/285/324

[41] Jean-Phillipe EGLINGER, « Vietnam : les autorités face aux enjeux économiques et sociaux de l’après Covid. », Asia Centre, publié le 24 avril 2020.

[42] Ibid.

[43] https://www.mckinsey.com/featured-insights/asia-pacific/emerging-from-the-pandemic-vietnam-must-position-itself-for-recovery

[44] Ibid.

[45] https://www.intellasia.net/remittances-to-vietnam-estimated-at-12-5-billion-this-year-1002052

[46] Jacques MORISSET, « Vietnam must boost new drivers of growth to avoid the COVID-19 economic trap », World Bank Blogs, publié le 4 août 2020, disponible sur https://blogs.worldbank.org/eastasiapacific/vietnam-must-boostnew-drivers-growth-avoid-covid-19-economic-trap

[47] https://euraseans.com/index.php/journal/article/view/285/324

[48] https://www.cekindo.vn/blog/vietnam-ecommerce-industry-booms-in-2021

[49] https://www.lecourrier.vn/le-marche-du-commerce-electronique-du-vietnam-en-plein-essor/925199.html

[50] https://asia.nikkei.com/Business/Companies/COVID-forces-Vietnam-factories-to-choose-sleepovers-or-stoppages

[51] https://www.ft.com/content/1e001928-59f5-4a45-b76e-7180ea9f7c5d

[52] https://tuoitrenews.vn/news/business/20211223/only-40-of-vietnamese-workers-willing-to-return-to-office-survey/64875.html

[53] https://thediplomat.com/2022/01/the-vietnam-germany-strategic-partnership-takes-another-step-forward/

[54] https://www.intellasia.net/omicron-stalks-se-asias-post-covid-hopes-and-dreams-998321

[55] https://www.ganintegrity.com/portal/country-profiles/vietnam/

[56] https://www.worldbank.org/en/programs/sief-trust-fund/brief/an-evaluation-of-indias-national-rural-employment-guarantee-act

Fiche de Lecture #17 – Le Vietnam : une histoire des transferts culturels – Hoai Huong Aubert-Nguyen et Michel Espagne – Demopolis – 2010

Les auteurs :

L’ouvrage à l’étude est le fruit de la coopération de plusieurs auteurs, dans leur grande majorité des universitaires, sous la direction de Hoai Huong Aubert-Nguyen et Michel Espagne.

Photos de Hoai Huong Nguyen - Babelio.com

Hoai Huong Aubert-Nguyen est une romancière et poète vietnamienne de langue française. Doctorante en littérature comparée à Paris-X Nanterre (2005), elle fut également enseignante en lettres classique et comparées avant de se tourner vers la communication. En plus du livre qui nous intéresse aujourd’hui, Aubert-Nguyen a publié 3 romans et 2 recueils de poésie.

Les contributeurs | Patrimoines Partagés - France Vietnam

Michel Espagne est un historien français spécialisé dans le germanisme et l’histoire de la culture. Il s’est notamment spécialisé dans l’étude des transferts culturels entre la France et l’Allemagne via les universités et les échanges commerciaux entre le XVIII et le XIXème siècle. Il est aujourd’hui le directeur du laboratoire d’excellence (Labex) TransferS, un réseau de 14 unités mixtes de recherche concernant les transferts culturels rattachées à l’Ecole Normale Supérieure, au Collège de France ainsi qu’au CNRS. Son œuvre comprend la publication d’une quinzaine de livre, la direction d’une trentaine d’ouvrages collectifs ainsi que de nombreuses participations à l’écriture de revues spécialisées.

Le livre :

 

Le Vietnam - i6doc

              Le Vietnam : une histoire des transferts culturels est un recueil des contributions présentées lors d’un colloque tenu à l’Ecole Normale Supérieure et à la Bibliothèque Nationale de France du 4 au 6 juin 2014 à l’occasion de l’année France-Vietnam organisée par l’Institut français.

Afin de circonscrire leur champ de réflexion, les deux directeurs de publication posent un constat relativement simple concernant les représentations du Vietnam. Ces dernières se forment généralement autour de deux axes principaux et antagoniques qui seraient 1) la vision d’un pays onirique et magnifié constitué autour d’une civilisation ancienne et mystérieuse, sorte de succession de sensations entêtantes parfois tordues par l’exotisme colonial ou touristique et 2) les guerres d’indépendance et de réunification au cours de la seconde moitié du XXème siècle. A noter d’ailleurs que le deuxième axe est lui-même porteur de deux visions opposées : la première mettant en lumière l’héroïque combat anticolonialiste puis anti-impérialiste des insurgés communistes en occultant l’ensemble des dérives totalitaires qu’ils entrainèrent ; la seconde glorifiant les sacrifices faits dans le sens d’une société plus libre et démocratique mais moins regardante sur les liens de subordinations qu’ils impliquaient. Chacune de ces visions fut soutenue par une large palette de supports culturels, certaines œuvres ayant même forgé une mémoire dominante comme Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ou L’amant de Marguerite Duras.

En plus de laisser peu de place à une perception proprement vietnamienne des événements, Aubert-Nguyen et Espagne estiment que cette historiographie contradictoire et conflictuelle masque un fait assez simple et facilement perceptible lorsque l’on ajuste notre focale sur le long terme. Pour eux, avant d’être un champ de bataille ayant cristallisé l’ensemble des antagonismes de la période de la guerre froide, le Vietnam fut un creuset civilisationnel complexe qui lui permit de constituer l’un des miroirs privilégiés des basculements du monde moderne. Ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi les luttes dont il servit de théâtre eurent un écho universel entre 1945 et 1979.

Hanoï : plongée au cœur de la capitale vietnamienne | The Beauty is in the  Walking
Le Musée d’Histoire Naturel d’Hanoï dans les anciens locaux de l’école française d’Extrême-Orient, témoin d’un style architectural proprement indochinois entre motif traditionnel vietnamien, style de toiture en lotus d’une part et méthode de construction française.

               Les auteurs de l’ouvrage se proposent donc de décloisonner l’histoire vietnamienne afin d’envisager celle-ci sous l’angle des rencontres dont elle fut témoin, en montrant à quel point, au-delà des luttes fratricides et des traumatismes qu’elles engendrèrent,  ces rencontres furent la matrice de formes et d’idées nouvelles qui contribuèrent non seulement à la définition de la culture vietnamienne moderne mais aussi à celle de la France et des autres pays occidentaux ou asiatique impliqués dans le processus. Ce processus suit quatre problématiques à travers l’ouvrage : Peut-on exporter le concept de transfert culturel, forgé pour étudier les passages d’une culture européenne à l’autre, aux relations entre la France et le Vietnam ? Et si oui, comment se sont élaborés les transferts culturels entre ces deux pays ? Comment ces relations culturelles s’inscrivent-elles dans les arts, la littérature, les sciences, l’histoire des idées, la société ? Comment ont-elles pu engendrer des idées et des formes nouvelles, à travers un mélange culturel ?

               Suivant ces fils directeurs, le propos de l’ouvrage suit une structure des thèmes du plus général au plus particulier. La première partie procède ainsi d’une mise en perspective théorique et historique des transferts culturels entre la France et le Vietnam, Michel Espagne les élevant au rang de « cas de figure paradigmatique » et Denis Papin, ancien directeur de l’Ecole Française d’Extrême Orient, en expliquant les ressorts géopolitiques, anthropologiques et historiques. Viennent ensuite les thèmes attachés à l’histoire de la pensée (Partie II) que cela soit d’un point de vue philosophique (importation des idées des Lumières au Vietnam et notamment de Rousseau) ou d’un point de vue métaphysique et religieux (implantation du catholicisme au Vietnam et création d’un bouddhisme vietnamien en France). Sur cette base, est envisagée dans la troisième partie la question de la construction des savoirs se focalisant sur les fleurs et les fruits que donnèrent les graines françaises plantées en terrain vietnamien dans les jardins de l’enseignement supérieur et de la médecine libérale. La partie IV réduit à nouveau la focale sur la question des arts et de la littérature en mêlant à la fois cadre théorique et étude en détails des œuvres de certains architectes, peintres ou auteurs français ou vietnamiens. La cinquième et dernière partie se plonge quant à elle dans la question des sources de cette histoire culturelle et notamment dans le fait que le fond documentaire de la Bibliothèque nationale de France est détentrice d’une part significative de la mémoire vietnamienne, qu’il s’agisse des premières photographies du pays ou des traces des manuscrits imprimés invitant à s’interroger sur le bouillonnement culturel et linguistique au Vietnam à la fin du XIXème et au début du XXème siècle.

Tiêng Dân, la voix du peuple sous la colonisation française - Le Courrier  du VietNam
Huynh Thuc Khang figure de proue du mouvement anticolonial des lettrés Duy Tan et un exemplaire de son journal en quốc ngữ . D’abord vu comme une instrument de domination des « maitres français », l’écriture vietnamienne romanisée est un bon exemple de « retournement des armes cuturels » par les Vietnamiens.

               Bien entendu, les auteurs ne prétendent à aucun moment à l’exhaustivité quant à l’ensemble du volume des échanges culturels dont le Vietnam fut le récepteur et/ou la source. Pour autant les pistes qui sont lancées au fil des lignes permettent à chacun de s’arrimer à certaines réflexions, ne serait-ce que par les représentations que l’on nourrit dans son for intérieur.  Aussi, que le lecteur soit d’ascendance vietnamienne ou un français familier des choses vietnamiennes, il trouvera certainement une part de familiarité dans l’ouvrage. Au-delà de références directes à des noms et événements connus, ce dernier mettra sans doute des mots sur des impressions ou une compréhension instinctive de certains phénomènes culturels vietnamiens pour ceux qui ont eu la chance de visiter le pays.

               Cet aspect est d’ailleurs renforcé par le fait que Le Vietnam : une histoire des transferts culturels est composé d’un canevas de texte aux styles très différents. On passe ainsi de développements d’un style proprement universitaire (Les transferts culturels franco-vietnamiens de Michel Espagne, p.15 à 29), à une revue de presse tenant à la fin de la guerre d’Indochine (L’ère dees tempêtes d’Alain Ruscio, p.187 à 201), à une enquête de terrain concernant la pagode géante d’Evry (Un bouddhisme vietnamien en France par Jérôme Gidoin, p.81 à 92) en passant par une collecte de témoignages des élèves vietnamiens dans les écoles françaises entre 1954 et 1975 (Sel, soufre et mercure, Thuy Phuong Nguyen, p.169 à 182). De ce fait, différents types d’exercices narratifs ou analytiques sont proposés pour le décloisonnement de l’histoire vietnamienne, comme autant d’invitations à s’approprier, au moins en partie, les propos du livre et à poursuivre personnellement sa démarche. De la même façon, le caractère pluridisciplinaire du recueil (histoire, sociologie, littérature, architecture, géographie, religion, etc.) garantit à chacun une prise sur les textes en fonction de ses propres goûts. Même les références culturelles et historiques traitées dans la quatrième partie, si elles peuvent être sans l’ombre d’un doute qualifiées de « pointues », invitent à la découverte d’artistes français ou vietnamiens que l’orage de feu et d’acier de la guerre a masqué de la vue du grand public.

               Par extension le caractère composite du livre, aussi bien d’un point de vue stylistique que disciplinaire, offre un large champ d’expression aux auteurs qui peuvent dès lors délivrer une réflexion riche, complexe et profonde sur des sujets parfois extrêmement spécifiques. Si l’on prend l’exemple de l’article concernant l’enseignement supérieur français en Indochine, l’enchainement des réflexions permet de saisir rapidement les divers intérêts et courants d’idées qui animèrent la question : l’utilitarisme de l’administration française ayant besoin « d’indigènes » qualifiés pour la colonie sans pour autant créer une élite qui pourrait contester son autorité (ce qui arrivera malgré tout), l’attrait des « Annamites » pour le savoir et l’esprit scientifique occidental avec toutes les questions identitaires que cela implique, le libre arbitre des professeurs français en porte-à-faux entre les exigences de l’administration et les aspirations de leurs élèves, et enfin l’appropriation des méthodes françaises par les Vietnamiens. Malgré la densité des informations dans ce genre de développement, les diverses références bibliographiques permettront aux plus curieux de creuser plus avant les sujets.

Dalat Vietnam – que voir et faire en 2 ou 3 jours ?
Avec ses faux airs de ville européenne, Dalat était la ville balnéaire de la bourgeoisie française en Indochine qui y fit construire des bâtiments typiques de certaines régions de France. Une originalité sous les latitudes tropicales d’Asie du Sud Est.

               L’ouvrage s’est donc donné les moyens de ses ambitions et pave la voie à une construction de représentations du Vietnam débarrassées des oripeaux sensationnalistes des propagandes opportunistes instillées par les parties prenantes de la guerre froide. Il se fait également l’écho de la nostalgie planante de l’Indochine que l’on peut trouver dans certains esprits français en donnant des outils et éléments d’analyse permettant de « digérer » le sentiment de familiarité qui peut se manifester lors d’une promenade dans le quartier français d’Hanoï, dans les rues de Dalat ou sur le parvis de Notre-Dame de Saïgon. Enfin, en permettant la participation de plusieurs auteurs Vietnamiens ou d’ascendance vietnamienne, Le Vietnam : une histoire des transferts culturels participe au mouvement de l’écriture de l’histoire du Vietnam par des Vietnamiens, pour des Vietnamiens en dehors des carcans imposés par le Parti Communiste Vietnamien. Dans la même veine, il contribue à panser les blessures laissées dans l’esprit des Vietnamiens de la diaspora par deux conflits qui, et cela est trop souvent omis, sont avant tout des guerres civiles.

               Au final, l’on recommandera la lecture de cet ouvrage à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la culture vietnamienne sous ses différentes facettes, même si, désolé pour les gourmets, l’aspect culinaire n’est pas abordé bien qu’il soit lui aussi porteur d’échanges franco-vietnamiens. D’un point de vue pus général, Le Vietnam : une histoire des transferts culturels est indiqué pour toute personne intéressée par les questions des échanges culturels tant le pays fut et est un laboratoire dans le domaine. On notera néanmoins que la lecture complémentaire d’ouvrages traitant de l’économie ou des questions sociales et politiques en Indochine et/ou Vietnam est conseillée afin d’approfondir certaines réflexions ou de saisir la profondeur de certains phénomènes culturels.

Cycle Indochinois #7 – Roland Dorgelès – Partir… – Albin Michel – 1926

L’auteur :

Roland Dorgelès (auteur de Les Croix de bois) - Babelio

Roland Dorgelès, nom de plume puis nom officiel de Rolland Maurice Lecavelé, est né le 15 juin 1885 et meurt le 18 mars 1973 à Paris 6ème. Ecrivain et journaliste français, membre de l’Académie Goncourt de 1929 à 1973. Après des études d’architecture à Strasbourg, Dorgelès participera à bâtir la légende du Monmartre artistique et bohème à travers ses propres expériences et ses nombreux écrits, soit sous forme de romans, soit sous forme d’articles parus dans les journaux avec lesquels il collabore (Sourire, Fantasio, Le Paris-Journal). En 1914, il parvient à se faire engager – malgré deux refus – grâce au soutien du futur « Père de la Victoire » Georges Clémenceau, alors son patron au journal L’Homme libre. Il est d’abord incorporé à l’infanterie puis devient élève pilote en juin 1915. Une terrible chute le plongeant dans le coma pour plusieurs mois mettra vite fin à sa formation. C’est lors de sa convalescence qu’il commence la rédaction des Croix de Bois, série de portraits de Poilus dont il tire l’inspiration de ses propres expériences. Cependant, la censure veille et l’ouvrage ne pourra pas être publié avant la fin de la guerre. Quelque peu échauffé par ces déboires littéraires, il rentre en 1917 à la rédaction du Canard Enchainé dans lequel il publie plusieurs articles satiriques concernant la Grande Guerre, notamment le roman La machine à finir la guerre. Les profiteurs de la guerre, les politiciens et la police font notamment les frais de sa verve caustique. Les Croix de Bois sera finalement publié en 1919 et recevra un accueil élogieux de la part de la critique mais aussi et surtout des Poilus, trouvant une fonction cathartique au roman, voire des hauts gradés comme le Maréchal Foch.

Plaque commémorative en l’honneur de Dorgelès dans le square qui porte son nom à Montmartre

Le livre vaudra à Dorgelès le prix Fémina et ratera le prix Goncourt contre A l’ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust, à 4 voix contre 6. Ce succès littéraire le conduit à entrer au Jury du prix littéraire la Renaissance en 1921. Il se marie ensuite avec Annette Routchine en 1923 puis part avec elle pour l’Indochine en 1924. Ce séjour lui permettra de développer le troisième axe de son expression artistique, à savoir l’Extrême-Orient. Il tirera de cette expérience Sur la route Mandarine en 1925 et Partir…, le livre qui nous intéresse ici, en 1926. Il intègre l’Académie Goncourt en 1929, dont il deviendra le président en 1954, puis continue à régulièrement publier jusqu’à sa mort en 1973. Notons qu’entre sa démobilisation en 1918 et sa mort il fut un membre actif de l’Association des écrivains combattants afin de rendre hommage aux 560 écrivains et hommes de lettre morts durant 14-18. A ce titre, c’est son nom qui sera choisi en 1995 pour baptiser le prix délivré aux professionnels de la radio et de la télévision « qui se sont particulièrement distingués dans la défense de la langue française ».

Le livre :

Achat Partir Dorgeles à prix bas - Neuf ou occasion | Rakuten

Partir… est le récit d’un voyage en paquebot reliant Marseille à Saïgon via Port-Saïd, Djibouti, Ceylan (aujourd’hui le Sri Lanka) et Singapour au début des années 20. On ne connait rien du narrateur si ce n’est que c’est son premier voyage, ce qui, associé à l’emploi systématique de la première personne, donne l’impression que l’ouvrage est en fait le journal de voyage de Dorgelès romancé. Dès lors, on ne sait pas si le livre fait état d’événements et de personnages réels. Ce flou est même volontairement entretenu par l’emploi tantôt de noms réels, tantôt de surnoms pour désigner les passagers, créant ainsi une relative confusion dans l’esprit du lecteur au début de l’histoire.

Le roman est rythmé par les pensées inspirées aux narrateurs par les paysages, les couleurs les sons et les interactions avec et entre les divers passagers, formant un échantillon bigarré des « Français d’outre-mer » d’alors : le banquier de Chine et son associé aux origines incertaines Prater, le cynique médecin du bord, des coloniaux indochinois de retour de vacances en métropole, des administrateurs et militaires nouvellement nommés en Asie, un promoteur de spectacle et sa troupe etc… Chacun de ces personnages à ses propres raisons de partir et un degré de familiarité à l’inconnu lointain permettant à Dorgelès d’introduire les différentes réactions des passagers (que nous verrons plus bas) à ce qui est donné à vivre à chaque étape du voyage.

Messageries maritimes — Wikipédia
Affiche de publicité pour les messageries maritimes (1928)

On assiste ainsi au tissage et à la rupture de relations et d’amitié au fil des pages, les plus expérimentés dans le voyage prenant souvent soin d’apporter leurs lumières aux néophytes. La vie à bord est décrite comme insouciante, dans la tradition du tourisme estivale à la française, et faite de distractions collectives. De ce fait un entourage récurrent se forme autour du narrateur, chacun apportant sa propre vision de l’Ailleurs ou de l’Autre compatible ou non avec les a priori des métropolitains. Le médecin, du haut de son flegme nihiliste, prend ainsi un malin plaisir à organiser une petite excursion de son cru pour touristes naïfs au milieu des lupanars miteux de Djibouti dans le but de leur offrir « un aperçu d’exotisme ». Un petit jeu social finit par se former entre le narrateur, le banquier de Shangaï et son associé, Manon et son amant Jacques Largy, premier chanteur de la troupe. Ces derniers, en tournée en Indochine Française, veulent croire à leur chance dans la colonie et s’y installer pour prospérer. Le financier, qui a des vues sur la jeune chanteuse, cherche à les décourager pour briser le couple et emmener Manon à Shangaï. A l’inverse, Prater, haï par son partenaire d’affaire mais irrémédiablement lié à lui par un sac de nœud juridique, vante les opportunités que peuvent offrir les territoires français d’outre-mer malgré la reconnaissance de difficultés suivant la première guerre mondiale. La trame narrative développée autour de ce triangle amoureux trouve un dénouement tragique à la fin de l’ouvrage lors de la tentative de fuite de Jacques, que l’on apprend être un fugitif suite à un crime de sang.

Pour ce faire, l’auteur se livre à une description fine de la vie à bord du « morceau de France » flottant qui l’emmène vers l’Orient et des lieux visités. Pour autant, et malgré les soupçons biographiques qui pèse sur le livre, le rendu ne porte guère les traits caractéristiques d’un documentaire ou de tout autre travail journalistique. Pour reprendre les termes de Emile Henriot, critique littéraire, dans son papier à propos de Les Croix de Bois en 1919 : « Et ceci est à la louange de l’écrivain : il est, proprement, un romancier. Un romancier des plus habiles, qui sait que la manière la plus sûre d’être éloquent, c’est d’être sobre. M. Dorgelès sait voir ; il sait sentir ; il sait attraper au vol, dans la conversation, le geste, l’intonation, le tic, le mot qui font trait, et ce trait, il le met à sa place, juste, incisif, brûlant de vérité, frémissant comme une flèche qui entre. ». L’ensemble de ces qualités permet à Dorgelès de brasser une quantité de sujets qui, bien qu’aborder de façon anodine dans le récit, raisonne d’une amplitude formidable lorsqu’on les replace dans leur perspective historique.

En effet, c’est la première fois que l’on aborde un livre paru durant l’entre deux guerre dans Cycle Indochinois (les autres chroniques touchant soit de la période de genèse de l’Indochine, soit de son crépuscule) et c’est sans doute la période la plus dense en termes de littérature « coloniale », quand bien même elle aurait existé en France.

Pour correctement soupeser l’importance de ces sujets, il faut bien comprendre que, comme le souligne Abdelkébir Khatibi[1], « la littérature coloniale était malade de la politique », et ce pour plusieurs raisons. D’abord comme nous l’avons déjà vu lors d’une précédente chronique, l’entreprise coloniale française fut le fait d’un groupe réduit d’individus et dans l’indifférence des masses, la révolution industrielle battant son plein en métropole. Aussi le lobby colonial fut il contraint de « vendre » une image de l’Autre et de l’Ailleurs palpitante faite d’aventuriers rois, de profits faciles, d’administrateurs roitelets, de sensualité, de beauté envoutante mais aussi de mystères impénétrables autour de l’opium, des peuples exotiques ou de civilisations inconnus. L’impact direct de ces préoccupations politiques sur la littérature réside dans la création d’un style marqué du sceau du réel travesti par des auteurs qui écrivent avant tout pour satisfaire les fantasmes du lectorat métropolitain. Le pittoresque et l’impénétrable sont enchevêtrés afin d’émouvoir, de divertir et de faire rêver. Dans cette veine émergèrent des spécialistes comme Pierre Loti qui deviendra même un immortel. On notera que dès 1909, procès est fait à l’exotisme du fait de son caractère purement fantasmagorique et de sa déconnexion avec le réel. La littérature coloniale se trouve ainsi considéré comme le prolongement du romantisme du XIXème siècle, quelque peu dépassé au début des années 1900.

Les joueurs de Skat d’Otto Dix, 1920. La représentation de mutilés de guerre allemands hors des canons de peinture classique et présentant les germes de mouvements picturaux tels que le futurisme, l’expressionisme ou le dadaïsme forme un bon exemple du traumatisme européen que fut la première guerre mondiale, tant sur le plan corporel que psychique, et de sa traduction directe dans les arts.

Cette emprise idéologique se poursuivra mais changera de nature après le choc traumatique de la 1ère guerre mondiale. Le clinquant de l’exotisme laisse la place à une vision plus réaliste dépassant la superficialité des premières approches en tentant de parler au mieux de la situation réelle dans les colonies. Elle porte la marque des inquiétudes du jour, certains voyant l’entreprise coloniale comme la régénérescence de l’Occident suite à la « guerre des bouchers ». Pour citer Paul Valéry, celle-ci a entrainé une « crise de l’esprit[2] » en Europe qui se traduira notamment par l’émergence de mouvements picturaux comme le dadaïsme ou surréalisme. Dorénavant, le monde n’est plus à interpréter mais à transformer pour les artistes et, concernant la littérature coloniale, il s’agit de réinvestir le champ de réflexion pour rebâtir une doctrine coloniale sur des bases morales. En effet, à l’époque de l’annexion des territoires et de la mise en place de l’appareil administratif motivée par « la mission civilisationnelle » succède celle de la gestion sur le long terme et de l’émergence des premières élites. Quelques soit l’orientation politique de ces dernières, le même constat paradoxal émerge : le processus colonial revient à armer – physiquement comme mentalement – les sujets coloniaux contre soi-même. L’idéal républicain égalitaire amené par la IIIème République contraste alors avec la pratique administrative discriminatoire empêchant l’épanouissement des notables vietnamiens et des métis, nourrissant leur rancœur à l’endroit de la France. En Indochine, la situation est d’autant plus préoccupante qu’une opposition armée de faible intensité mais omniprésente continue d’agiter les actualités (voir notamment les actions de Hoang Hoa Tam). Dès lors, il s’agit pour les auteurs de mettre en avant l’œuvre colonial et l’idéal impérial bâtisseur afin d’alimenter le mythe de la renaissance de la France dans cet ailleurs lointain où tout est à construire. Le comble de ce paradoxe sera sans doute le fait que la propagande autour de l’Empire colonial Français atteindra son apogée – exposition coloniale de 1931 – au moment même où il se lézardera en Indochine (mutinerie de Yen Baï soulèvement communiste au centre Vietnam en 1930).

Aussi, le style de la littérature coloniale va connaitre à ce moment une mutation importante en ce que le style romanesque va se confondre avec le style journalistique. Les fioritures ornementales laissent place à un style plus direct et épuré, sans pour autant faire disparaitre la surprise, le rêve et l’attrait pour l’Orient. Et c’est ici que se place Dorgelès avec Partir… et Sur la route Mandarine (que j’espère bientôt chroniquer sur le blog).

Il reprend en effet un certain nombre de recettes de l’exotisme ancien mais assène un traitement bien moins caricatural ou intéressé, se contentant de laisser parler ses personnages sans rien affirmer. A ce titre, le médecin de bord blasé et sa délectation à briser les certitudes des passagers permet, par sa névrose déconstructrice, de remettre à plat des idées préconçues qui pourraient être façonnées par la propagande coloniale. De la même façon, les passes d’arme entre le banquier de Shangaï et son associé sur la situation des affaires en Indochine, bien que motivées par la mauvaise foi, éclaire le couple d’amoureux et le lecteur sur l’état de la colonie.

Le cas Jacques Largy rentre assez peu dans les canons littéraires du colon vertueux du fait de ses actes criminels en métropole et de sa vision de l’Indochine comme terre de seconde chance. Evidemment, cette vision du colon français partant outre-mer du fait de son statut de paria avait déjà été soulevé auparavant – notamment dans Les Civilisés de Farrère – mais ne formait guère la majorité des représentations d’alors. Et, encore une fois, le flou entretenu autour de la véracité de cette histoire par le style employé par l’auteur empêche le lecteur de déterminer si l’auteur se joue de lui ou si cette histoire est présente dans le livre à dessein. Le lien avec la Grande Guerre dans le passé du jeune homme, permet également d’en parler sans aucune forme de jugement moral ou politique.

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Voulant pousser les Français à découvrir les territoires d’Outre-Mer, les autorités coloniales inviteront les métropolitains à voyager et à dépasser les illusions exotiques dans les années 20.

Si l’on s’intéresse à l’attitude de l’auteur dans son rapport à l’Autre et à l’Ailleurs dans Partir… , on peut souligner la complexité des rapports présents dans le livre du fait du foisonnement d’anecdotes significatives. Que cela soit voulu ou non, l’ouvrage offre un panel d’émotions faites ; outre de surprise, de rêve, de déception que nous avons déjà entrevue ; de crainte, d’émerveillement, d’hostilité, d’empathie de préjugés ethniques mais aussi d’attractions et de répulsions réciproques avec les « indigènes ». Notons ici que, malgré l’omniprésence des occidentaux dans l’entourage direct du narrateur, on sent que ce dernier tente d’adopter le point de vue des autochtones ou des passagers qui ne sont pas Européens, une relative nouveauté dans la littérature coloniale d’alors. Dans les yeux des néophytes, certains lieux et peuples passent ainsi de la carte postale à une source d’inquiétude, tel Port-Saïd pour Manon. L’île de Ceylan voit même les passagers débattre de sa nature de « Paradis sur Terre » tant pour ses paysages que pour ses habitants, témoignant en creux des doutes quant à la supériorité européenne dans l’esprit des passagers. La vision exotique ainsi offerte, si elle ne prétend pas à l’exhaustivité, semble en définitive être un témoignage délivré de bons nombres d’arrières pensées morales ou commerciales, ce qui fait toute sa fraicheur et son intérêt.

En conclusion, Partir…, de par sa nature de roman-documentaire, est un instantané d’un monde colonial en pleine mutation qui parvient à faire état de dynamiques profondes avec une simplicité agréable à la lecture là où des écrits historiques/sociologiques pourraient paraitre indigestes et obscurs. Il n’oublie de ce fait pas sa dimension narrative, offre une trame dramatique riche et des personnages complexes et attachants procurant au lecteur pléthore de sensations. En somme, on peut dire que les trois points de suspension du titre remplissent admirablement leur fonction de suggestion, de séduction et de marque de trouble en ce que Dorgelès laisse au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions de l’histoire qui lui est donner à lire, de l’enrichissement que lui semble avoir retirer de son expérience mais aussi de la plate réalité qu’il décrit, loin des « pays des merveilles » de la propagande coloniale.


[1] Abdelkébir Khatibi (1938-2009) est un romancier et sociologue marocain, spécialiste de la littérature maghrébine francophone, notamment récompensé par le Grand Prix de l’Académie française (1994) et fait Chevalier de l’ordre français des Arts et Lettres en 1997. A propos des idées du monsieur concernant la littérature coloniale : https://journals.openedition.org/carnets/5445

[2] https://www.cairn.info/revue-etudes-2014-6-page-75.htm