Fruit de la rencontre entre la fée de la Terre et du Dragon de l’eau selon le mythe fondateur du pays, le peuple Vietnamien vit près voir sur l’eau. En effet, le pays, en plus d’être un véritable « balcon sur le Pacifique » de par sa géographie, est structuré autour des deltas de ses deux principaux cours d’eau que sont le Fleuve Rouge au nord et le Mekong au sud. Et pour cause, grâce à ceux-ci et aux canaux qui furent creusés au fil des siècles pour assurer l’irrigation des rizières, le Vietnam est aujourd’hui l’un des principaux exportateurs de riz au monde.


Militairement parlant, l’hydrographie fut également un élément déterminant dans l’histoire du Vietnam. On peut citer ici l’ancienne citadelle de Hoa Lu, stratégiquement située entre des montagnes et plusieurs bras d’eau, clé de la défense du Dai Viet contre les troupes chinoises de la dynastie des Song entre 1075 et 1077 et siège du gouvernement vietnamien avant la fondation de Hanoi. Au fil des lignes de ce blog nous avions déjà évoqué la bataille navale de Bach Dang au cours de laquelle le seigneur Tran Hung Dao avait défait l’armée sino-mongole de Kubilaï Khan, petit fils de Genghis Khan.

Au XIXème siècle, les Français se sont à leur tour vite rendu-compte de l’importance de la maitrise des eaux aussi bien sur le plan militaire qu’administratif ou économique. De fait, de nombreuses batailles se déroulèrent avec les soldats vietnamiens et les irréguliers chinois le long des côtes ou des rivières. Une fois le territoire sous contrôle, les nécessités administratives et surtout l’exploitation économique (autant le transport que la riziculture) de la toute nouvelle Indochine requéraient la maitrise des eaux fluviales[1]. En effet, malgré l’effort dans la construction des routes visant à relier les principales villes indochinoises, les deux deltas et leurs ramifications faisaient offices de véritables autoroutes et accueillaient une large partie de la population rurale du Tonkin et de la Cochinchine.
Après le massacre des soldats français lors du coup de force japonais en mars 1945, Ho Chi Minh déclare l’indépendance du Vietnam le 2 septembre mais la France, en accord avec les Alliés, veut reprendre possession effective de sa colonie asiatique. Afin d’occuper ce territoire et de relever les troupes britanniques et chinoises en charge de désarmer les troupes nippones au sud et au nord du 17ème parallèle, l’armée française conduit une campagne en 3 étapes : se rendre maitre et établir des bases sur les principaux axes routiers et fluviaux ; établir plusieurs points de contrôle fortifiés pour empêcher l’accès Viet Minh aux ressources et à la population et, enfin, armer la population civile afin qu’elle puisse résister à la « terreur rouge » communiste. Comme au XIXème siècle et durant la période coloniale, le problème logistique se pose rapidement aux stratèges français

S’inspirant des opérations navales de la fin de l’année 1945 ayant permis de déloger les partisans Viet Minh des villes de Can Tho et My Tho – deux villes majeures dans le sud du delta du Mékong -, Jacques-Philipe Leclerc, commandant en chef des forces armées françaises en Extrême-Orient, charge le capitaine François Jaubert de la formation d’une force fluviale. Le but, selon les mots du Vice-Amiral Paul Phillipe Ortoli (commandant des forces navales françaises en Indochine à partir de 1949), est de « nettoyer et contrôler le réseau de voies d’eaux intérieur constituant les principaux points d’accès à la vie du pays »[2]. Il s’agit ainsi de constituer des unités dont la spécialité était de pouvoir profiter des voies d’eaux pour débarquer une force d’intervention suffisante afin d’opérer en zone littorale. Par la suite, les Dinassauts seront également employées pour des missions d’évacuation d’urgence des postes isolés ou des missions de patrouille.
Lors du rétablissement de l’autorité française sur le Sud, le Groupement Massu, en charge de reprendre My Tho à partir du 15 octobre, avait en effet été ralenti sur la voie terrestre par le sabotage des ponts ou les multiples obstacles dressés sur sa route par les insurgés. La compagnie Merlet (ancêtre de la « Brigade Marine d’Extrême Orient ») et le SAS Battalion furent alors embarqués sur un Landing Craft Infantry (LCI) de l’armée anglaise. A la faveur de la surprise ils reprirent en quelques jours My Tho (le 25 octobre), Vinh Long et Can Tho[3].
Les flottilles fluviales, ancêtre des Division Navale d’Assaut ou Dinassaut (créées en 1947), étaient nées. Jaubert décide de la création de deux petites flottilles composées de vedettes, de barges et de deux jonques motorisées japonaises rebaptisées l’Arcachonnaise et la Lorientaise[4]. Ce dispositif est homogénéisé en décembre grâce à la mise à disposition de navires de débarquement britanniques en provenance de Singapour. Plusieurs vaisseaux de transport de troupes et de débarquement, à savoir des Landing Craft Assault (LCA), Landing Craft Mechanized (LCM) et landing craft vehicle & Personnel (LCVP), sont ainsi perçus[5], tous trois étant des barges de transports.

Dans le même temps, un atelier naval est installé à Phu My, en banlieue de Saigon, afin de procéder aux travaux visant à armer, renforcer et même construire les bateaux de la flottille fluviale. La base devient le QG de l’unité[6].
En février 1946, l’unité est divisée en 2. La « 1ère Flottille fluviale de fusiliers marins » (1ère FFFM), pourvue des meilleures unités amphibies, est envoyée au nord pour opérer dans le delta du Tonkin tandis que la 2ème FFFM, composée des chaloupes et des barges restantes, est cantonnée à la Cochinchine. La 1ère FFFM entre directement dans l’action le 6 mars 1946 lors du retour des Français au nord puis le long de la côte nord et enfin lors « des événements d’Haiphong » en novembre 1946.

Alors que la solution diplomatique meurt avec la fin des négociations à la conférence de Fontainebleau et que le conflit dégénère, les 2 FFFM sont dissoutes le janvier 1947 et laissent la place à la « Force Amphibie de la Marine en Indochine » divisée en « Force Amphibie du Sud » et « Force Amphibie du Nord ». Mais, les combats allant en s’intensifiant, le printemps 1947 voit la création des fameuses Divisions Navales d’Assaut ou Dinassaut. On les compte au nombre de 10 : les n°1, 3, 5, 12 et « Haïphong » opèrent au Tonkin, tandis que les n°2, 4, 6, 8 et 10 opèrent au sud. Les détails des dates de création et des opérations auxquelles participèrent chacune de ces unités sont disponibles dans leur intégralité sur le site internet suivant : http://indochine54.free.fr/cefeo/dinassau.html#LCM
Leur composition évoluant avec le temps et les moyens alloués à la guerre en Indochine ne permettant pas l’homogénéité, je vous laisserai cliquer sur le lien suivant pour les étudier en détails : http://indochine54.free.fr/cefeo/dinassau.html#LCM. Pour autant, nous pouvons donner ici une organisation type. Une Dinassaut est en général composé d’un LCI pour le commandement et l’appui, d’un (LCT) pour le transport, de deux landing craft material (LCM) dédiés au transport et l’appui, de quatre landing craft vehicle & personnel (LCVP) servant aux patrouilles et au soutien, d’un LCVP ou un landing craft assault (LCA), servant pour la reconnaissance et la liaison. Des Landing Ship Supply Large (LSSL), des hydravions, et des troupes navales de commandos ou d’armée sont également incorporés aux Dinassaut. Comme pour la composition des unités, je laisserai les lecteurs désireux de se renseigner sur les caractéristiques techniques de ces machines sur la page web suivante : http://indochine54.free.fr/cefeo/boats.html#LCVP

Si les premiers vaisseaux furent fournis par les Britanniques, beaucoup d’entre eux, utilisés lors des campagnes américaines et anglaises en Asie lors de la seconde guerre mondiale, furent rachetés en mauvais état en Malaisie, aux Phillipines, à Singapour puis remis en état, armés et blindés au sein de la base de Phu My[7]. Paul J. Carnasses, ancien membre de la Dinassaut n°2, témoigne que plusieurs conseillers militaires de l’US Navy furent d’ailleurs surpris de l’ingéniosité avec laquelle les ingénieurs français avaient modifié ces bateaux pourtant peu polyvalents à la base pour les adapter aux combats fluviaux[8]. Cette prouesse est d’autant plus notable que le matériel était alors chichement distribué du fait d’une économie d’après-guerre encore fragile.
Le rôle de ces « Dinassauts » étant de transporter, de débarquer et d’appuyer l’infanterie ainsi que de surveiller les cours d’eau et de ravitailler les postes isolés, les bateaux qui les composaient devaient cependant remplir un certain nombre de critères pour : présenter un faible tirant d’eau afin de remonter les cours d’eau sans problème, être pourvu de moteurs suffisamment puissants pour faire face à des courants de 5 à 6 nœuds lors de la saison des pluies, disposé d’un armement et d’un blindage résistant à la plupart des calibres utilisés par le Viet Minh[9].
Tout comme les navires, l’armement est plutôt hétérogène et varie d’une Dinassaut à une autre. Outre les armes « de base » (dans la description de chacun des navires), les navires de transports et de soutien d’infanterie pouvaient être équipés de mortiers de 81mm, de mitrailleuse lourde de 20 ou 40 mm, des lances-grenades ou de fusils mitrailleurs de calibre 30 ou 50.
Les marins servant dans ces unités amphibies constituent la « Marine en kaki » par opposition à la « Marine en blanc » qui est embarquée sur les bâtiments de haute mer. Du fait de cette spécialité, un autre sobriquet est né dans les rangs français pour désigner la marine fluviale « les chie dans l’eau »[10].
Il est à noter que les Dinassauts ne disposaient pas de leurs propres forces terrestres et ne faisaient office que de transporteurs et de soutiens. Evidemment, ces missions impliquaient à la fois une grande rapidité de manœuvre et des capacités de coordination éprouvées. Afin de vous en donner une idée, on peut présenter un assaut amphibie type comme suivant : les premiers éléments vérifient l’absence de mines marines ou les neutralisent, les éléments de soutien « arrosent » la zone de débarquement afin de tuer ou désorienter les défenseurs, l’infanterie d’assaut débarquent et sécurisent les rives dans le but de permettre au reste des troupes de débarquer[11]. Une fois les hommes débarqués, les navires virent de bord et se placent sur les côtés de la zone de débarquement afin de permettre le débarquement d’autres unités et d’appuyer les hommes déjà débarqué. En cas de coup dur, l’opération inverse est ordonnée[12].
C’est dans les rangs de ces unités spécifiques que vont s’épanouir les vocations de fusilier-marin et notamment les tous nouveaux Fusiliers Marins Commando. Créée en 1942 suite à l’entrainement des fusiliers marins du capitaine de corvette Philipe Kieffer par les Britanniques, la 1ère compagnie des fusiliers marins commandos sera la seule unité française à débarquer avec les alliés le 6 juin 1944 sur les plages de Normandie. C’est lors de cet événement que naquit la légende du mythique béret vert français.

Suivant les évolutions de la doctrine militaire et aux vues des bons retours lors de la seconde guerre mondiale et les débuts du conflit Indochinois, 6 commandos sont créés entre novembre 1946 et 1948. 3 d’entre eux opéreront en Indochine, à savoir le commando Jaubert, le commando de Monfort et le commando François. Comme pour les unités parachutistes ou le commando des Tigres Noirs, il parait impossible de retranscrire par les mots l’aura que possédait ce type d’unité d’élite dans les rangs français comme dans les rangs Viet Minh et à quel point leur présence sur un champ de bataille pouvait compenser l’infériorité numérique coté contre-insurgés. A titre de symbole, c’est d’ailleurs le commando Jaubert qui sera la dernière unité française à quitter l’ex-Indochine le 31 mars 1956.

Après ces descriptions, il nous reste à déterminer l’efficacité de ces Dinassauts. Comme les Groupements Mobiles, celles-ci servirent de fer de lance pour la contre-insurrection française en ce que leur létalité et flexibilité permettaient de contrer rapidement les attaques éclairs Viet Minh voir même de reprendre l’initiative sur les stratèges insurgés. On rappellera ici que, malgré des ajustements stratégiques durant le conflit, la tactique appliquée par Giap consistait essentiellement en une série d’embuscade, de coup de main et d’attaque-éclair sur des points faibles du dispositif de maintien de l’ordre français après concentration de ses forces. En évitant les assauts frontaux contre un ennemi mieux équiper et en choisissant quand et où attaquer, le Viet Minh gardait constamment l’initiative contre le CEFEO surtout concentrer sur l’occupation du territoire afin de sécuriser les points stratégiques et protéger les populations civiles des exactions communistes. Ainsi, le risque pour les troupes françaises consistait en un statisme autodestructeur, les mettant constamment en position passive. De ce fait le recours à des unités mobiles et disposant d’une puissance de feu conséquente permit de briser la dynamique guerrière Viet Minh. C’est le Général de Lattre de Tassigny qui s’illustrera le mieux dans l’application de cette tactique sur le théâtre Indochinois, avant que la mort de son fils en mars 1951 près de Ninh Binh et son âge avancé ne le pousse à la retraite.
C’est d’ailleurs sous son commandement que les Dinassauts montrèrent toute l’étendue de leur capacité. En effet, lors du printemps 51, le Général Giap lança une série d’offensives visant à prendre contrôle de l’ouest du delta du Fleuve Rouge en forçant le triangle stratégique sanctuarisé par l’armée française. Après deux lourds échecs à Vinh Yen et Mao Khe, les troupes communistes se tournent vers la ville de Ninh Binh le 28 mai, située sur la rivière Day, au sud du Delta. Après avoir déjoué une embuscade et avoir dégagé la ville par l’acheminement de renforts, la Dinassaut 3 permit de lancer une contre-offensive victorieuse et de détruire le gros des troupes ennemies le 5 juin à Yen Cu Ha, réduisant à néant les prétentions de Giap sur le delta.

Pour autant, si les Dinassauts furent efficace en bataille ouverte, elles le furent beaucoup moins lors des « parties de cache-cache » avec les insurgés. En effet, leur caractère amphibie rend leur déplacement prévisible et les opportunités d’embuscade multiples pour les guérilleros rompus à cet art. Ainsi, les unités du génie du CEFEO et les ingénieurs Viet Minh se menèrent une véritable guerre à travers leurs ruses réciproques, consistant la plupart du temps dans la mise en place de mines d’une part et la façon de les neutraliser d’autre part. De ce fait, l’utilité des Dinassauts fut plutôt limitée durant les phases de recherche des concentrations Viet Minh.
[1] Edward J. Marolda and R. Blake Dunnavent, Combat at Close Quarters – Warfare on the rivers and Canals of Vietnam, Naval History and Heritage Command, 2015
[2] Edward J. Marolda and R. Blake Dunnavent, Combat at Close Quarters – Warfare on the rivers and Canals of Vietnam, Naval History and Heritage Command, 2015
[3] Edward J. Marolda and R. Blake Dunnavent, Combat at Close Quarters – Warfare on the rivers and Canals of Vietnam, Naval History and Heritage Command, 2015
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Edward J. Marolda and R. Blake Dunnavent, Combat at Close Quarters – Warfare on the rivers and Canals of Vietnam, Naval History and Heritage Command, 2015
[8] Paul J. Carnasse, La Marine Fluviale en Indochine, Bulletin de liaison des anciens combattants d’Indochine d’Athis-Mons, de Paray-Vieille-Poste et de Morangis, n°23, Aout 2014.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] Edward J. Marolda and R. Blake Dunnavent, Combat at Close Quarters – Warfare on the rivers and Canals of Vietnam, Naval History and Heritage Command, 2015
[12] Ibid.