Raffinement macabre X – Les fusils d’assaut AK-47 et M16 durant la guerre du Vietnam – Partie 2

III) Impact des armes sur le déroulement de la guerre

  1. Le M16 à l’épreuve du feu

Comme pour la première partie, il ne s’agit pas ici de verser dans la balistique mais de comprendre en quoi les deux armes ont influé sur le conflit. On se bornera ici à renvoyer les curieux vers les caractéristiques techniques des deux armes afin d’avoir un ordre d’idée en tête. Pour plus de détails, le clique sur les deux liens suivant est de bon aloi : https://www.diffen.com/difference/AK-47_vs_M16_Rifle et http://www.military-today.com/firearms/m16_vs_ak47.htm .

Dans les faits, les deux seules caractéristiques qui vont nous intéresser ici seront la fiabilité de l’arme et, par extension, son influence sur le moral des troupes.

En effet, du fait de la stratégie de guérilla « frapper fort et disparaitre » sous le couvert forestier pratiquée par le Viêt Công, la guerre du Vietnam fut essentiellement une guerre de fantassin, raison pour laquelle l’armement individuel y revêtit une importance particulière, tant au niveau de la létalité que de l’appréhension des combats par leurs protagonistes.

C’est dans ce contexte que se forgèrent les légendes respectives de l’AK-47 et du M16/AR-15 qui allaient se cristalliser avec le temps et s’affronter dans l’imaginaire collectif mondial comme une extension directe de l’opposition entre les démocraties libérales du Bloc de l’Ouest et les régimes marxistes-léninistes du Bloc de l’Est. D’ailleurs, même si ce dernier disparut à la fin du XXème siècle, les descendants directs des deux armes continuent d’alimenter chez les tireurs et les militaires les antagonismes nés dans la jungle vietnamienne entre les années 60 et 70.

Or, cette bataille mémorielle et/ou de réputation repose essentiellement sur le fait qu’à partir de l’engagement massif des Américains au Sud-Vietnam, une série de facteurs viendront impacter les performances du M16 en termes de fiabilité. Combiné avec le fait qu’il prenait à rebours les a priori dont nous avons parlé dans la partie précédente (structure en polymère, petit calibre), il ne tarda d’ailleurs pas à se voir affublé d’un surnom humiliant : le « Mattel Gun » (Mattel étant, hier comme aujourd’hui, une célèbre marque de jouets).

Mais reprenons là où nous en étions restés. Lorsque le M16 fut perçu par l’armée (1964), le contingent américain au Vietnam (conseillers militaires et techniques, forces spéciales) représentait entre 15 000 et 21 000 personnes. La stratégie suivie par Washington demeurait alors les « black ops », désignant des opérations devant demeurer secrètes afin de ne pas provoquer d’escalade avec l’URSS et consistant la plupart du temps en des opérations d’intensité limitée, et l’entrainement des troupes sud-vietnamiennes à la contre-insurrection. Dans ce contexte, le M16, dans les mains de professionnels opérant sur un théâtre d’opération restreint, remplissait correctement son office dans les rangs américains.

 La réputation du fusil va néanmoins changer avec la croissance progressive de l’implication de l’US Army à partir d’aout 1964, date à laquelle les attaques simulées des navires américains USS Maddox et USS Turner en baie du Tonkin fournirent au président Johnson un casus belli.

Robert Mac Namara, détaillant « l’attaque » de l’USS Maddox par des torpilleurs nord-vietnamien à la télévision américaine le 4 août 1964. L’ouverture des archives a démontré que cette attaque était fausse, une « fake news » comme on dirait aujourd’hui.

Chaque mois, toujours plus de jeunes américains furent contraints de partir pour le Vietnam par la conscription, et ce à tel point qu’en janvier 1966 l’armée américaine avait déployé pas moins de 200 000 hommes, chiffre qui sera doublé l’année suivante. Cette augmentation soudaine du volume de troupes conduira logiquement à l’accélération de la production du M16 et à la généralisation des incidents de tir lors des contacts avec l’ennemi. Notons qu’au maximum de ses capacités de production Colt pouvait sortir 45000 fusils par mois.

Evidemment, trouver des statistiques précises à ce sujet est un défi sérieux, même avec internet, et reviendrait à une controverse de chiffres et de sources plutôt stérile. On se bornera à constater que les problèmes de fiabilité du fusil d’assaut ne tardèrent pas être connu au plus haut niveau de la sphère politique américaine. Ainsi, en mai 1967, James J. Howard, député de l’état du New Jersey présenta au Congrès une lettre d’un Marine narrant la bataille de la Colline 881 (en marge d’une attaque de la base aérienne de Khe Sanh par le Viet Cong et l’ANV), particulièrement meurtrière pour les Américains en partie en raison du mauvais fonctionnement des armes. Plusieurs rapports militaires relatant l’augmentation du nombre de cadavres de Gis retrouvés prêt de leur arme enraillée ou de leur kit de nettoyage en plein combat fuitèrent quasiment au moment, interpellant de plus en plus l’opinion publique. Le tout est corroboré par les nombreux soldats et vétérans du Vietnam qui témoigneront, auprès de leur proche ou en public, de la mort de leur camarade en raison des disfonctionnements de leur fusil d’assaut. Ces phénomènes iront d’ailleurs en empirant après que l’offensive du Têt 1968 et Walter Cronkite aient fait basculé l’opinion publique américaine dans le camp antiguerreet que les manifestations de vétérans contre la guerre se multiplièrent.

Dès lors diverses enquêtes et études furent menées par le Congrès américain, l’armée et Colt afin de trouver une solution à ce problème. Sans rentrer dans les détails techniques et/ou institutionnels ainsi que dans les polémiques qui émergèrent aussitôt à ce propos, on se bornera ici à indiquer que le manque de fiabilité du M16 était principalement dû à un problème d’extraction de la douille : une fois la balle partie, celle-ci était coincé lors de son éjection de la chambre, empêchant le tir de la munition suivante. Un consensus fut vite trouvé quant aux raisons de ce problème :

  • D’abord, de par son fonctionnement même, le M16 était sujet à un encrassement rapide. De fait, le système de rechargement par emprunt de gaz utilisé par Stoner permettait de récupérer les gaz de combustion de la poudre afin de pousser la culasse vers l’arrière, d’extraire la cartouche usagée et de placer une nouvelle balle dans la chambre rapidement. Aussi pratique qu’il puisse être, ce système impliquait qu’en même temps que la gaz une partie des déchets de la combustion était également récupéré et pouvait provoquer dépôt et corrosion. L’AK-47 était également pourvu de ce système, mais la simplicité de sa conception et sa rusticité lui permettait de fonctionner avec moins de problème que le M16, qui, lui, accumulait les défauts.
  • Pour des raisons de couts et afin d’accroitre la vélocité de la balle, l’armée avait choisi la poudre IMR 4475 pour remplacer le WC846 initialement prévu. Problème : la nouvelle poudre était beaucoup plus sensible à l’humidité, un fait non négligeable au regard du climat tropical du Vietnam. Ainsi, certaine munition pouvait gonfler sous l’effet de l’humidité et donc provoquer des problèmes d’extractions. Mais, combiné à d’autres caractéristiques techniques de l’arme (dont nous parlerons juste après), l’augmentation de la cadence de tir (de 700-800 coups/minute à 1000) provoquait un encrassement plus rapide de l’arme.
  • Ce problème fut exacerbé par le choix (économique) de ne pas chromer la chambre du fusil. Dépourvu de cette protection, l’arme est bien plus sujette à la corrosion et à la rouille du fait de l’humidité et des résidus de combustion de la poudre. Même constat pour la carcasse du fusil, initialement composée d’aluminium 7075 T6 mais remplacée par du 6061 T6, davantage sujet à la corrosion.
  • Le tout était sublimé par un manque cruelle de nettoyage de l’arme par les soldats, et ce malgré les conditions extrêmes de son utilisation. En effet, une des caractéristiques avancées par Colt lors de ses démarches auprès de l’armée fut le faible entretien que nécessitait l’arme comparé à son concurrent, le M14. Cet argument publicitaire fut tant exagéré que bientôt naquit dans la tête des soldats comme des officiers l’idée selon laquelle l’arme était auto-nettoyante, ce qui, évidemment était faux. Cette impression fut d’ailleurs renforcée par le fait que l’armée ne fournissait que très peu de kit de nettoyage au sein des unités, certains Marines devant même s’en faire envoyer par leur entourage. Ajoutons que le fait que le gros du contingent américain soit composé de conscrits à partir de 1966 permit largement la prolifération de cette rumeur, les hommes entrainés aux métiers de armes étant, de fait, moins facile à berner sur ce point.
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Un extrait de la BD distribuée aux Marines présents au Vietnam. à partir de 1969 Elle détaille comment  effectuer les opérations de maintenance de son M16.

Fin 1967, Colt a réuni suffisamment d’éléments pour remédier aux défauts de ses fusils et commence à produire des M16 modifiés. Ceux-ci n’arriveront sur le champ de bataille qu’à la fin de l’année 1968, année fatidique pour la guerre puisque l’opinion publique américaine est massivement hostile à l’intervention américaine au Vietnam suite aux événements du Têt 1968. Toujours est-il qu’en 1970, une dernière version de l’AR-15 – le M16A1 – est produite en série, une version dépourvue de tous les problèmes précédemment cités.

Au final, si on devait trancher la question de savoir si l’AR-15/M16 a rempli sa mission durant l’engagement américain au Vietnam entre 1964 et 1975, on pourrait conclure en disant que le fusil d’assaut est à l’image de la guerre durant laquelle il fit son apparition : il témoigne d’une relative supériorité technologique par l’utilisation de matériaux nouveaux et d’une vision du combat novatrice pour la fabrication d’un fusil, celles-ci entrainant une sorte de confiance excessive qui se verra rapidement taillé en pièce par la dure réalité du combat. En avance sur son temps mais souffrant encore de mauvais réglages, les disfonctionnements de l’AR-15, qu’ils fussent issus de raisons budgétaires ou purement technique, participèrent à la chute du moral des troupes américaines au cours du conflit. Ils ajoutèrent une dose supplémentaire d’absurdité dans le quotidien des soldats, les empêchant en partie de se figurer les raisons de leur présence aussi loin de chez eux. Imagine-toi, cher lecteur, être un conscrit dans la jungle vietnamienne – où les températures dépassent aisément les 40 degrés C et les 95% d’humidité relative durant la saison des pluies – et passer plusieurs heures – voire plusieurs jours – en mission « search and destroy » parmi la faune locale et les « boobytraps » pour finalement tomber dans une embuscade et se rendre compte que ton fusil de dotation fonctionne mal… De quoi remettre sérieusement en cause les motivations de sa participation à une guerre et militer contre la guerre si l’on rentre au pays entier…

Never Again | Vietnam protests, Vietnam veterans, Vietnam
Une manifestation de vétéran du Vietnam contre la guerre. Philadelphie, 1969.

         2. Une « victoire » à la Pyrrhus pour l’AK-47 au Vietnam ?

Il faut également souligner que les mauvaises performances du M16 entre 1966 et 1968 puis la réputation d’inefficacité qu’il conservera durant les années suivantes du fait du retrait américain  tiennent largement au fait qu’en face, le camp communiste, caractérisé par une absence totale de transparence et un dogmatisme idéologique monolithique, n’a jamais communiqué quant aux performances des armes de la gamme AK, notamment quant à leur fiabilité.

Par le biais de la propagande, il fut ainsi assez facile de poser et de répandre le fallacieux syllogisme suivant : AK-47 = victoire vietnamienne = arme de référence. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’arme connut un succès commercial bien supérieur à celui de son rival américain. On estime aujourd’hui que 70 à 100 millions d’AK-47 sont en circulation dans le monde contre … seulement 7 millions de M16[1]. Raison pour laquelle, lors de certains conflits, la « Kalach’ » se trouvent être l’arme principale des deux factions. A noter que même les Etats-Unis en font commerce auprès de leurs alliés, par exemple suite à la guerre en Afghanistan où l’oncle Sam a fourni pas moins de 15 000 de ces armes à la nouvelle armée afghane. L’entrainement au maniement de l’AK-47 est même de rigueur dans les rangs de plusieurs armées de première importance, dont la France.

Pour reprendre une formule utilisée dans un article publié en novembre 2010 dans le magazine Wired « Aujourd’hui, l’AK est presque partout, et il a bouleversé en profondeur les règles de la guerre moderne, donnant à des bandes de combattants moyennement entraînés et n’ayant que peu de ressources le pouvoir d’affronter, et de vaincre certaines des armées les plus riches et les mieux équipées du monde. Le fusil de Staline est devenu, et demeure, l’arme de monsieur tout le monde, une réussite – et un fléau – qui est sûr de durer encore longtemps au XXI° siècle ».  C’est pourtant cette réputation à l’internationale qui va montrer les limites de l’arme.

En effet, grâce à cette réputation forgée notamment dans le feu du conflit vietnamien, à son faible cout, à sa manipulation et son entretien facile, l’AK-47 et sa version modernisée (l’AKM) sont devenus les armes de référence lors des conflits asymétriques opposant une armée régulière et professionnelle à des insurgés pratiquant la guérilla pour arriver à leur fin. Très facile à fabriquer et rustique (donc réputé très fiables), ces fusils d’assaut furent produits et exportés en grand nombre par l’URSS et tous ses satellites européens, un moyen pour le bloc de l’Est de consolider son image « anti-impérial », notamment auprès des insurgés marxisants issus des pays du Tiers-Monde. Sa première utilisation dans le rang d’organisation non directement affiliée à Moscou fut la guerre du Liban en 1978. L’imagerie romantique du combattant de la liberté à Kalachnikov était alors partout.

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Des rebelles lybiens entrainés au maniement de l’AK-47. L’ouverture des arsenaux lybiens suite à la chute de Muhammar Kadhafi a permis d’armer dans l’opacité la plus totale les organisations criminelles ou politico-militaire en AK, destabilisant toute la bordure sahélienne (Mali, Centrafique, Niger notamment)

Paradoxalement, c’est cette notoriété et cette omniprésence sur les champs de bataille du globe qui vont révéler les défauts des AK-47. En effet, comme le M16 au Vietnam, le prêt-à-penser selon lequel « la Kalach’ » n’avait pas besoin d’entretien, et ce, quel que soit les caractéristiques du champ de bataille, impacta rapidement la fiabilité de l’arme. De la même façon, le fait qu’elle soit la plupart du temps dans les mains d’utilisateurs non professionnels ne garantit pas un entretien optimal.

Dans la même veine, la nécessité de produire et d’armer les troupes du Pacte de Varsovie et les guérilleros alliés aux Soviétiques va conduire à une production en masse de l’arme au milieu des années 50 en Union Soviétique ainsi que dans l’ensemble du bloc de l’Est sous licence. De ce phénomène vont émerger des ersatz d’AK-47 de qualité variable, allant de la très bonne Chermak CZ SA Vz.58 tchèque à la relativement mauvaise Pusca Automata model 1963 (PM md.63) de fabrication roumaine en passant par la copie pure comme le Type-56 d’origine chinoise. On estime ainsi que 90% des AK-47 et des AK-74 en circulation sur le globe à l’heure actuelle ne sont pas de fabrication russe. Ainsi, la plateforme AK, bien que toujours renommée et reconnue, prit un coup au prestige. En cherchant sur internet, il n’est d’ailleurs pas rare de trouver des vidéos d’utilisateurs de plateforme AK voir leur arme tomber en morceau entre leur main tant certaine sont mauvaises.

Le plus gros revers que connu la réputation de l’arme n’est pourtant pas sur le plan technique. L’omniprésence de l’AK-47 sur le marché de l’armement et leur fabrication en quantité massive en ont fait l’arme préféré, outre des guérilleros communistes durant la guerre froide, des groupes terroristes, des gangs, des cartels sud-américains, des pirates somaliens, etc… Par extension, elle est devenue l’arme la plus meurtrière au monde et connut plusieurs heures de gloires sanglantes. On peut ici citer l’exemple de Claudia Ochoa Felix alias l’Impératrice de l’Antrax, chef du gang Los Antrax, qui en fit son arme fétiche dans sa guerre contre le Cartel Sinaloa, s’affichant même avec son modèle personnalisé couleur fuchsia. Du fait de sa simplicité d’utilisation, on la retrouve également assez souvent dans les mains des enfants soldats comme lors des guerres qui déchirèrent et continuent de déchirer l’Afrique des Grands Lacs. Dans une certaine mesure, la réussite écrasante de l’AK-47 s’est transformée en fléau à l’échelle mondiale qui ne sera certainement pas stoppé au XXIème siècle.

Sur un autre plan, l’AK-47, bien qu’en avance sur son temps et bien plus au point que l’AR-15 lors de la guerre du Vietnam, connu une évolution qui rapprochera sa « progéniture » ( les différentes armes postérieures dans la gamme AK) de son rival.

IV) Epilogue : perfectionnement, consécration et pop-culture.

  1. Le M16 comme pionnier de tous les fusils d’assaut modernes.

Si l’AK-47 écrasa littéralement le M16 en termes de vente et de renommée, il faut néanmoins prendre en compte le fait que ce fut ce dernier qui marquera le plus l’avenir de la conception mondiale des fusils d’assaut.

En effet, depuis l’avènement de l’AR-15 et de l’AK-47, si ce n’est le système dit « Bullpup », peu de réelles nouveautés virent le jour dans le domaine des fusils d’assaut : les armes sont de plus en plus modulables et polyvalentes grâce à l’ajout de rails picattiny, le poids et la longueur des armes ont été réduits, la fiabilité a augmenté.

French FAMAS F1 – Forgotten Weapons
Le FAMAS G1 est un fusil d’assaut doté du système bullpup. Celui-ci se caractérise par le déplacement de la chambre,  du mécanisme de mise à feu et du chargeur à l’arrière de la gachette. Cela permet notamment de réduire la longueur totale de l’arme sans réduire celle du canon.

Cette relative harmonisation des performances des fusils d’assaut modernes est en grande partie dû à l’utilisation généralisée de polymères pour les fabriquer. Dès l’arrivée du M16 sur le champ de bataille, la quasi intégralité des pays, y compris ceux du bloc communiste, lancèrent leur propre programme de développement d’armes similaires. De nos jours, ces armes sont même désignées sous l’appellation « black rifle » (« fusil noir ») en référence à la couleur noire des polymères dont ils sont constitués.  Les deux plateformes les plus connus dans cette catégorie restent évidemment l’AR-15 et l’AK.

L’AR-15 ne connut que des modifications mineures depuis la fin de sa mise au point en 1983 sous sa version M16A2 (adoptée par l’armée américaine en 1986) et suite aux modifications nécessaires à sa commercialisation sur le marché civil (retrait du mode automatique notamment), contrairement à la gamme AK qui, elle, fut transformée en profondeur à mesure du temps. Ainsi, en plus du changement de calibre lors de la production en série de l’AK-74 (du 7,62*39mm au 5,45*39mm), le bois et l’acier furent très vite abandonnés pour la carcasse des armes. Le dernier né de la gamme AK (2018) et nouvelle arme de dotation dans l’armée russe, l’AK-12 dans sa version 5,45*39mm ou AK-15 dans sa version 7,62*39mm, est ainsi intégralement constituée de polymères malgré la conservation du mécanisme d’origine de l’AK.

Kalashnikov Evolution: AK-12 & AK-15 - YouTube
Les derniers nés de  la gamme AK.

Comme nous l’avions vu dans la première partie, en plus d’avoir été les figures de proues des fusils d’assaut d’un point de vue historique, aussi bien sur le plan technique que commercial, les deux armes restent liées à l’actualité.

       2.Deux armes toujours au centre des actualités

Dans une des parties précédentes nous nous étions appliqués à expliquer l’omniprésence de l’AK-47 sur les champs de bataille et dans les rangs du crime organisé, nous n’en reparlerons donc pas ici.

 Il faut néanmoins préciser qu’aujourd’hui les produits de la firme Kalachnikov, en situation de monopole sur le marché national des armes de petits calibres, comptent parmi les principales exportations de la Fédération de Russie. Ironiquement, les Etats-Unis représentaient la principale destination d’exportation en 2019 avec 200 000 fusils civils vendus. Sauvé de la faillite en 2003 par des capitaux privés – suite à une demande expresse de Mikhaïl Kalachnikov auprès de Vladimir Poutine –  puis restructuré à partir de 2013, le groupe Kalachnikov a été privatisé en février 2017, la part de l’Etat passant de 51 à 25% (minorité de blocage). Alexeï Krivoroutchko, nouveau PDG du groupe, explique : « En 2013, les pertes du groupe s’élevaient à près de deux milliards de roubles (31 millions d’euros). Après un certain nombre de transformations importantes menées par le groupe, le changement de la direction et l’arrivée d’investisseurs privés, nous avons ensemble permis à la société de revenir à des résultats financiers positifs, renouveler ses capacités et conquérir de nouveaux marchés ». Et pour cause, depuis lors, la firme affiche des résultats positifs dans tous les domaines et a même commencé à travailler sur les drones. A noter qu’au-delà de la diversification des activités industrielles et commerciales, le principal chantier de l’équipe de direction fut de changer l’image du groupe afin de banquer sur la réputation déjà établie de ses armes. De cette façon, l’entreprise s’est lancé dans la production de textile afin de faire la promotion de sa marque. La cerise sur le gâteau reste cependant l’ouverture de la boutique Kalachnikov au sein de l’aéroport international de Moscou en 2016, où, évidemment, seuls des répliques souvenirs des plus célèbres AK sont en vente.

Kalashnikov abre una tienda en el aeropuerto con más tráfico de Rusia
La boutique Kalashnikov au sein du complexe aéroportuaire moscovite.

Etant donné son importance stratégique, la firme occupe également une place centrale dans les programmes de défense de la Russie. Créé en 2003 par le président russe (c’est-à-dire en même temps que le sauvetage de la firme), le Consortium Kalachnikov est le fer de lance du programme massif de réarmement russe. En ce sens, le groupe s’est vu alloué un budget de 500 milliards d’euros entre 2013 et 2023 pour la production de 28 sous-marins, 50 navires de surface, 600 avions, 1 000 hélicoptères, des centaines de missiles, des satellites militaires et l’AK-12.

S’agissant de l’AR-15/M16 ensuite, on peut dire que la page noire des années 66 à 68 est tournée, l’arme étant devenue la référence sur le marché américain. Deux raisons peuvent ici être invoqué. D’abord, d’un point de vue technique, l’AR-15 a atteint un niveau de modularité sans précédent en restant simple et abordable, le destinant ainsi aussi bien à la chasse qu’à la défense personnelle ou au tir sportif. Il doit également sa popularité au Federal Assault Weapons Ban de 1994 destiné à limiter les crimes violents aux Etats-Unis. De fait, cet acte législatif sortira l’AR-15 de sa catégorie « arme de niche » pour en faire le symbole de la liberté de porter des armes aux Etats-Unis. Le fusil connu son âge d’or lorsque l’interdiction expira en 2004, c’est-à-dire juste avant l’élection présidentielle, et que, de peur de voir le candidat démocrate John Kerry prolonger l’interdiction, le public américain s’est rué dans les magasins afin de se procurer un AR-15. Cette figure iconique du fusil dans la sphère politique américaine n’a pas faibli depuis puisque suite à une fusillade survenue en 2017 dans le lycée de Parkland (Floride) et ayant fait 17 morts, une campagne internet portée par le hashtag OneLess voyait des détenteurs d’AR-15 – arme impliquée dans la fusillade – détruire leur fusil, souhaitant voir les tueries cesser outre-Atlantique.

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Scott Pappalardo, défenseur du port d’arme aux Etats-Unis, fut celui qui lança la campagne OneLess sur les réseaux suite à la tuerie de Parkland

 

Du point de vue de l’armement militaire, l’AR-15/M16 dut attendre 1994 pour être remplacé par son « neveu » le M4, version « carbine » (raccourci) du M16A2, arme de dotation de l’armée américaine entre 1983 et 1994.  A noter que si Colt reste le fabriquant historique de l’AR-15 et le producteur principal du M4, la fin des droits exclusifs de la firme concernant la fabrication et la commercialisation de l’arme en 1977 a provoqué la multiplication des concurrents, poussant la Colt Company a abandonné la commercialisation de l’AR-15, ne parvenant pas à s’aligner sur les prix du marché.

               Avant de conclure, un petit tour du côté de la pop-culture nous permettra de comprendre à quel point les deux armes ont infusé dans l’imaginaire collectif global.

          3. Quelques références pop-culture

Comme pour le volet commercial de la rivalité M16/AK-47, c’est le fusil d’assaut de Mikhaïl Kalachnikov qui semble avoir l’impact culturel le plus fort, devenant d’ailleurs, au même titre que le ballet ou les matriochkas, un véritable symbole de la Russie. La diversification des produits Kalachnikov, comme la vodka ou les T-shirt, a d’ailleurs renforcé cet aspect.

A ce titre, étant donné le réflexe hollywoodien de faire du Russe le méchant du film malgré la fin de la guerre froide, il est difficile d’imaginer celui-ci dormir sans son AK-47 sous l’oreiller. Aussi, l’arme a-t-elle submergée l’industrie cinématographique. Elle fut même parfois portée au pinacle par certains films comme Lord of War mettant en scène un immigré ukrainien joué par Nicolas Cage faisant fortune en profitant de la confusion de l’effondrement de l’URSS pour racheter à prix vil des stocks entiers d’armes de la plateforme AK pour les revendre partout sur le globe.

Encore plus fort, l’AK-47 est présente sur le drapeau ou les écussons de plusieurs pays africains comme le Mozambique, le Timor-Oriental et le Burkina Faso et forme un motif populaire une fois associée à la houe. Le Hezbollah libanais l’arbore également sur son drapeau, comme une réminiscence de l’imagerie romantique révolutionnaire des combattants de la liberté.

Le seul média où la représentation des deux armes semble équilibrée reste sans doute les jeux vidéo de type First Personnal Shooter (ou FPS pour jeu de tir à la première personne) qui, comme les films, sont trop nombreux pour être énumérés ici.

En guise de conclusion :

               En avance sur son temps, efficace, rustique et bon marché, l’AK-47 se tailla la part du lion sur le marché des fusils d’assaut suite à la guerre du Vietnam et se révéla être une pièce maitresse pour des types de combat pour lesquels elle n’était pas prévu à la base. D’arme initialement prévue pour des combats « classiques » comme ceux qu’avait connu Mikhaïl Kalachnikov, la « Kalach’ » s’imposa largement via des conflits non-conventionnels, au premier rang desquels la guérilla vietnamienne. La simplicité de son utilisation et sa réputation lui permettra de devenir un symbole populaire au quatre coins du monde et un instrument de « soft-power » pour l’URSS puis pour la Russie de Vladimir Poutine. Cette bonne image ne sera guère altérée par les défauts de fiabilité constatés sur le modèle original ou ses copies sous licences une fois dans les mains de combattants non directement rattachés à Moscou. Même si de nos jours les organisations criminelles ou insurrectionnelles lui préfèrent des fusils d’assaut plus modernes quand elles disposent d’un budget suffisant, la quantité astronomique de fusils produits, en plus de lui conférer une triste réputation, laisse augurer le fait que l’humanité n’en sera pas débarrassée avant longtemps.

               De l’autre côté, l’AR-15/M16, bien que ne constituant pas la raison principale de l’échec américain au Vietnam, apporta son lot de frustration et de démoralisation au cours des 2 années d’escalade du conflit en raison de cadence de production trop rapide et de choix douteux quant à sa conception, et ce, pour des motifs économiques (chromage de la chambre, poudre, aluminium). Les modifications supprimeront ses problèmes de fiabilité et, même si cela ne renversera pas le court de la guerre, en feront une arme compétitive face à l’AK-47. Minée par une compétition commerciale au sein même du bloc de l’Ouest et une réputation entachée par ses défaillances vietnamiennes, il fut largement dominé d’un point de vue symbolique et purement économique. Malgré tout, le fusil su trouvé sa place à la fois dans les rangs de l’armée américaine (le modèle M16A2 ne sera abandonné qu’en 1994 au profit d’un fusil d’assaut en découlant directement, à savoir le M4) et sur le marché civil américain qui est – y’a-t-il besoin de le préciser ? – le premier marché au monde s’agissant des armes civiles.  Sa plus belle réussite reste sans doute d’avoir pu imposer les standards des fusils d’assaut modernes, à savoir un calibre intermédiaire et le recours à des matériaux plastiques légers, standards qui ne semble pour le moment pas en passe d’être abandonnés malgré l’application des dernières technologies à la conception des armes de nouvelles générations.

[1] Killicoat, Phillip. 2007. Weaponomics : the global market for assault rifles. Policy, Research working paper ; no. WPS 4202; Post-Conflict Transitions working paper ; no. PC 10. Washington, DC: World Bank. http://documents.worldbank.org/curated/en/2007/04/7537683/weaponomics-global-market-assault-rifles.