Le temps des troubles pour Ngô Đình Diệm :
Depuis la Convention de Genève, la situation au Sud-Vietnam s’est considérablement améliorée en 6 ans. Comme l’écrivait le journaliste Ronald Bruce Frankum Jr. « A bien des égards, la République du Viet Nam, qui a quitté l’année du Cochon, année lunaire de 1959, avait connu une croissance sans précédent de son économie, de son infrastructure politique et de sa position diplomatique au sein de la communauté des nations qui composaient l’Asie du Sud-Est et le Pacifique[1] ».
Pourtant, l’inflexion de la position nord-vietnamienne et le début de ses manœuvres logistiques plaça Ngô Đình Diệm sous « la double pression de facteurs internes et externes qui cherchaient à renverser la République »[2] comme il l’évoqua lui-même lors d’un discours du 7 juillet 1960. Outre la menace communiste, on peut classifier ces pressions selon 4 natures :
- La pression du gouvernement américain sur la conduite des affaires politiques et militaires du pays.
- L’apathie, la jalousie et l’obstruction constante de l’intelligentsia saïgonnaise désireuse d’accéder au pouvoir et, dès lors, dépréciant systématiquement les mesures gouvernementales ou demandant l’intervention des Américains contre Diem.
- L’augmentation des troubles créés par les maquis communistes, au premier rang desquelles une campagne de propagande calomnieuse servant le volet psychologique de la guerre menée par le nord.
- Les attaques de plusieurs journalistes américains qui cherchaient plutôt à donner dans le sensationnalisme qu’à dépeindre objectivement la situation.
L’ensemble de ces facteurs conduiront à l’élaboration de mythes persistant encore à l’heure actuelle quant à la personnalité du premier président du Sud-Vietnam qui ne serait qu’un dictateur corrompu favorisant les catholiques et intolérant envers les autres religions ou une marionnette de Washington.
Et cela n’ira pas en s’améliorant avec l’arrivée de John F. Kennedy au pouvoir. Ce dernier, bien que reprenant la politique de « containment » de son prédécesseur, doit cependant faire face à plusieurs situations inédites : construction du mur de Berlin en aout 1961, l’échec du débarquement de la baie des cochons à Cuba en avril, la neutralisation du Laos qui mène dans les faits à la prise de contrôle de la région par Hanoï et donc au libre passage des troupes communistes vers le sud[3]. C’est donc au Vietnam que la nouvelle administration américaine va décider de concentrer ses efforts pour refouler le mouvement communiste internationale qui tenait alors sous sa férule 1/3 de l’humanité.
L’implication accrue des Etats Unis sur le théâtre d’opération vietnamien ne débuta que par l’envoi d’une centaine de conseillers supplémentaires au sein du Military Assistance and Advisory Group (MAAG) début 1961. Au vice-président Lyndon Johnson, envoyé en visite en mai 1961, Diệm ne demandera que des moyens financiers et matériels supplémentaires pour atteindre le nombre de 100 000 combattants dans les rangs de son armée, éludant en cela les allusions de son invité quant à l’intervention directe de l’US Army[4]. En effet, conscient du fait que la présence de forces combattantes américaines sur le sol sud-vietnamien ne pourrait que faire le jeu du FLNSV et de sa narration tenant le régime de Saïgon pour un instrument de Washington, il refusa énergiquement. De leur côté, les Américains, sortant du conflit coréen, ne basait leur conception de la guerre que sur le rapport de force tenant à la puissance de feu, tenant le facteur psychologique et même politique pour annexe, voire accessoire. Le désaccord sur la méthode pour réprimer l’insurrection était née.

Indécis quant à la marche à suivre et malgré les rapports pressants de Landsdale, le locataire de la Maison Blanche ordonna une mission d’information en octobre 1961 menée par son conseiller pour la sécurité nationale Walter W. Rostow et son conseiller militaire Maxwell Taylor. Le rapport qui en découla préconisait un « limited partnership » se limitant au conseil, à la formation des troupes et à la fourniture de matériel militaire moderne. Un plan de déploiement d’une force logistique d’intervention était également prévu au prétexte du passage d’un typhon sur les côtes. Ces indications ne furent pas suivies par l’administration Kennedy qui se divisa en deux lignes : une ligne dure préconisant une intervention directe autour du Secrétaire de la défense Mac Namara et une ligne pressant le président de quitter le théâtre vietnamien afin de ne pas engager la réputation des Etats Unis. Le point commun de ces positions était leur mépris pour Ngô Đình Diệm et sa politique.
La décision du président américain fut d’augmenter l’aide militaire américaine mais de la conditionner à la promesse du président sud-vietnamien de procéder à des réformes et d’« associer » les Etats-Unis à toutes les décisions. La réaction de Diệm fut, bien entendu, la défiance, déclarant ne pas vouloir voir le Vietnam « devenir un protectorat américain ». Après un bras de fer intense, Washington accepta d’octroyer l’aide en étant seulement « consulté », la situation sur le terrain allant en se dégradant et aucun remplaçant ne pouvant être trouvé pour le moment. L’aide militaire doubla et l’armée sud-vietnamienne fut dotée en hélicoptère, avion de combat et défoliant. Pour l’ensemble de l’équipe dirigeante américaine, la dotation en moyens du régime de Saïgon devait être un levier pour changer les méthodes de gouvernement des Ngô.
Grâce à ces nouveaux moyens, Diệm lança une campagne militaire visant à frapper les concentrations de troupes ennemies et à libérer plusieurs territoires de l’influence communiste. Sur la base des conceptions élaborées par les stratèges français ayant composés à propos de la contre-insurrection, la feuille de route élaborée était la suivante : 1) dégager et protéger les villages de la présence des forces armées communistes, de leur propagande, des assassinats ciblés, des sabotages ; 2) mettre en place une administration fonctionnelle, compétente et non corrompue permettant de s’attirer la sympathie de la population ; 3) améliorer les conditions de vie de la population.
Ce n’était pourtant pas la seule carte qu’il comptait jouer…
Ngô Đình Diệm voulait réduire l’influence américaine et se rapprocher du Nord :
Malgré ces mesures de guerre, Diệm avait tiré les mêmes conclusions que ses homologues du Nord vis-à-vis des « grands frères » parrainant cette guerre : comme Hanoï ayant dû adopter le modèle chinois pour recevoir le soutien de Pékin, Saïgon perdait peu à peu sa liberté au profit de ceux qui l’armaient. Dès lors, les frères Ngô ont cherché, à partir de mai 1963, à réduire la présence américaine sur le sol sud-vietnamien. Diệm demanda ainsi officieusement quelle serait la réaction américaine à une demande officielle de départ de 5000 militaires[5]. Ngô Ðình Nhu ira même jusqu’à se livrer à ce propos à une journaliste du Washington Post avant de se rétracter devant les foudres du gouvernement américain[6]. La seconde résolution de Diệm fut d’entreprendre un certain nombre de démarches, via l’ambassadeur de France Roger Lalouette ou le chef de la délégation polonaise de l’ICC[7] Mieczylaw Maneli, visant à se rapprocher du Nord-Vietnam afin de trouver une solution diplomatique au conflit et donc de préserver les deux moitiés du pays des prédations étrangères[8]. A noter que c’est cette solution qui avait déjà été avancée par son concurrent au poste de premier ministre de Bảo Đại, Nguyễn Ngọc Bích, et qu’Hồ Chí Minh s’était également prononcé en ce sens en mars et septembre 1962 respectivement auprès du journaliste Wilfred Burchett et du chef de la délégation indienne de l’ICC.
Déjà peu apprécié par ses « alliés » américains, Diệm avait franchi la ligne jaune en cherchant à pactiser avec le gouvernement d’Hanoï et les partisans de son maintien au pouvoir ne pouvaient plus le soutenir. Dès lors, l’équipe de l’ambassade américaine à Hanoï ainsi que le département d’Etat se mit à la recherche du moindre prétexte pour écarter Diêm du pouvoir pour le remplacer par quelqu’un de plus docile. Et ce prétexte allait rapidement leur être fourni…
La crise bouddhiste
L’escalade politique qui allait mener à la chute de et de son administration débuta par une simple affaire de drapeau qui aurait pu se régler simplement si elle n’avait pas été mal gérée par les frères Ngô et instrumentalisée non seulement par ses ennemis communistes mais également par les autres forces politiques, sans oublier les Américains. Ils avaient d’abord tenté la conciliation avant d’entrer dans un cycle de violence dont ils sortiront perdant.
Tout commença le jour de Pâques 1963 quand Diệm sortit de la messe d’une petite chapelle privée et constata que les drapeaux nationaux étaient noyés au milieu de ceux du Vatican. Il confia ainsi au général Trần Văn Minh et au président de l’Assemblée nationale Trường Vinh Lê qui l’accompagnaient : « Ce n’est pas possible, le drapeau national c’est quelque chose de sacré. Pourquoi le mêler à d’autres drapeaux ? Le noyer dans la masse de ceux-ci ? Sa place est au-dessus de tout. C’est sous ce drapeau que meurent nos braves soldats. Pourquoi ne pas le mettre en évidence, ne pas le respecter ? Désormais, seul le drapeau national sera arboré devant les églises, les pagodes, les édifices religieux, les autres drapeaux devront être relégués à l’intérieur. A la rigueur, on pourra admettre un ou deux drapeaux religieux à l’extérieur, juste pour montrer l’identité de la religion, mais le déploiement de quantité de ceux-ci à l’extérieur devra être prohibé »[9].
Une instruction orale fut alors envoyée aux différents échelons administratifs du pays le 5 mai 1963, soit un jour après la célébration des 25 ans de Ngô Đình Thưc (frère de Diệm) au poste d’évêque à grand renfort de drapeaux religieux catholiques. Elle ne fut néanmoins diffusée et appliquée que le 8 mai soit le jour de Vesak, fête religieuse commémorant la naissance, l’Eveil et le parinirvana (l’accession au nirvana complet) du Bouddha. Il n’en fallu pas davantage pour que des rumeurs concernant l’interdiction des drapeaux bouddhistes par le gouvernement circule. Ngô Đình Cẩn , frère de Diệm et administrateur de la province de Huê, reçu le même jour une délégation de hauts dignitaires bouddhistes et accéda à leur demande tenant à la présence de drapeaux religieux pour les festivités. La situation semblait calme jusqu’à l’attaque par un groupe de soi-disant « catholique » de la foule réunie devant le bâtiment de la radio diffusant la cérémonie ayant eu lieu à la pagode Từ Đạm. S’ensuivirent des échauffourées et plusieurs explosions faisant 7 morts[10]. Selon le rapport du gouvernement, les bombes qui ont explosées à ce moment ne contenaient pas de plastic utilisées par la police ou par l’armée. Les documents déclassifiés par la CIA ont démontré qu’un certain « Capitaine Scott » était l’instigateur de ces explosions même si l’on ne connait pas les commanditaires[11].

A partir de cet événement, les manifestations, répressions et contre-manifestations s’enchainèrent jusqu’à l’immolation de Thích Quảng Đức le 11 juin 1963 qui en entrainera d’autres. Malgré un accord en date du 16 juin entre le gouvernement et le clergé bouddhiste après une réponse favorable aux revendications religieuses des agitateurs, les manifestations anti-gouvernement se généralisèrent. En face, le clan Ngô raidit sa position, estimant qu’une fois les revendications bouddhistes satisfaites, les troubles causés ne pouvaient être que l’œuvre d’agitateurs inféodés aux communistes[12]. On notera ainsi le rôle trouble de Thích Trí Quang, un bonze appartenant à une organisation bouddhiste militante (le groupe Ấn Quang) et donc en rupture avec la réserve politique prôné par le bouddhisme, qui, sous couvert de revendiquer des institutions démocratiques, attisera les conflits et

chargera le président et son gouvernement[13]. Dès lors, les organismes politiques dans la main du frère du président (organisation de jeunesse, associations de bouddhistes favorables au gouvernement, le Mouvement des femmes de Madame Nhu, les organisations catholiques, etc…) furent mobilisés afin de répondre à ces soulèvements et affirmer le pouvoir des Ngô. Evidemment, cela ne fit qu’accroitre les tensions et susciter la haine pour le gouvernement. La discorde est telle que le propre père de Madame Nhu, l’ambassadeur Trần Văn Chương, qualifiera sa fille « d’insolente » et de « mal éduquée » après que celle-ci a ironisé sur le fait que les bouddhistes cherchaient à renverser le gouvernement en faisant « des barbecues de bonzes avec de l’essence importée[14] ».
L’agitation alla en s’amplifiant malgré l’engagement du gouvernement à ne pas emprisonner les personnes qui respectaient l’ordre et la mise en place d’un bureau spécial chargé de l’application de l’accord du 16 juin. Tout était devenu prétexte à manifestation, à contre-manifestation, à grève, à déclaration sensationnelle … Aussi, dans la nuit du 20 aout 1963, le gouvernement déclara la loi martiale sur proposition des 10 généraux commandant l’armée et plusieurs pagodes dissidentes furent investies[15]. Le 21, la radio diffusa une annonce du président informant la population de la mise en place d’un couvre-feu et de « l’autorisation à l’armée de la République à prendre toutes les mesures nécessaires pour vaincre les communistes et protéger le pays afin de le rendre démocratique et libre. Les spéculateurs poilitiques et ceux qui profitent de la religion et de l’attitude conciliante du gouvernement pour continuellement agir illégalement et créer du désordre, empêchant la construction d’un état de droit démocratique, portent préjudice au prestige du bouddhisme pour seulement le bénéfice des communistes [16]». Coup d’épée dans l’eau : le 22 août, le ministre des Affaires étrangères Vũ Văn Mẩu donna sa démission et se rasa la tête ; le 23, les étudiants de l’école d’ingénieur de Phú Thọ séchèrent les cours suivis par les étudiants en médecine et en pharmacie ; le 25, l’ensemble du corps étudiant manifesta à Saïgon et une étudiante fut tuée.
L’assassinat de Ngô Đình Diệm et de son frère
Les Américains, qui suivaient les événements de près, cherchèrent à calmer la situation en allant dans le sens des revendications bouddhistes demandant le départ de Ngô Ðình Nhu et davantage de démocratie tout en assurant que le régime de Saïgon ne menait aucune activité oppressive envers les bouddhistes. Cependant, un rapport de la CIA en date du 28 juin vint très vite déstabiliser cet équilibre en concluant qu’aucune concession ne serait faite par Diệm concernant la position et le pouvoir de ses frères et des membres de son clan. L’administration Kennedy était jusqu’alors partagé entre ceux qui croyaient encore à Diem et pensaient qu’éloigner Nhu suffirait à rétablir la situation et ceux qui estimaient que le temps était venu de changer d’homme. Quelques jours après l’attaque des pagodes par les services spéciaux de la présidence, les généraux Lê Văn Kim, Trần Văn Đôn et Nguyễn Khánh contactent plusieurs agents de la CIA à Saïgon afin de connaitre la position de Washington en cas de coup de force militaire. Saisissant cette opportunité, le clan anti-Diem parvint à faire accepter à Kennedy l’envoi d’une réponse portant les informations suivantes : les Américains sont favorables au départ des Nhu, le maintien de Diem est l’affaire des Vietnamiens, des moyens seront fournis aux généraux durant la phase de transition mais l’US Army ne pourra intervenir directement dans le coup d’Etat[17].
Malgré ce soutien, les conspirateurs hésitèrent encore quelques temps, jusqu’à ce que le ralliement du général Tôn Thất Đính , commandant de la IIIème armée protégeant la région Saïgon-Cholon et enfant chéri du régime, dissipe les doutes subsistant. Le 1er novembre, les conjurés déclenchent le coup et préviennent l’ambassade américaine. Les commandants des principales forces militaires de la région sont convoqués au Quartier Général de l’Etat-Major à Tân Sơn Nhứt, ceux soupçonnés de soutenir Diêm sont arrêtés, beaucoup rejoignent le complot, un colonel réfractaire est exécuté sur le champ[18]. Ainsi, en début d’après-midi tous les bâtiments stratégiques de la capitale sud-vietnamienne sont dans la main des rebelles et l’ensemble des troupes loyales à Diem sont bloquées au loin. Le président et les Nhu sont alors au Palais Gia Long, dernier bâtiment non investi par les ínurgés. Ngô Đình Diệm contacte les commandants du coup d’état et l’ambassadeur américain Cabot Lodge. A ce dernier, qui lui propose de s’exiler aux Philippines avec l’aide américaine, il répond : « Je vous rappelle que vous êtes en train de parler à un président d’un pays indépendant et souverain. Je ne quitterai ce pays que si c’est la volonté de tout son peuple. Je ne le quitterai pas sous la pression de quelques généraux rebelles ou d’un ambassadeur américain. Les Etats Unis doivent se considérer responsable de ce qui se passe[19]. »
Lorsque les forces de défense du palais se rendent aux insurgés le matin du 2 novembre, les frères Ngô ont déjà fui. Après avoir cherché du soutien auprès d’officier déjà placés aux arrêts, ils se réfugient dans l’église Saint François-Xavier de Cholon. Diệm appellent à nouveau les généraux et l’ambassadeur américain pour leur signifier son refus de se rendre et de s’exiler. C’est son officier de service qui donnera l’adresse de l’église.

Les deux frères sont assassinés dans le véhicule M113 le même jour. Leur frère Ngô Đình Cẩn fut arrêté, « jugé » et exécuté le même jour. Le général Trần Văn Đôn écrira dans ses mémoires que la majorité des 26 généraux et colonels à la tête du coup d’état était partisan de l’exil des Ngô[20]. Malgré cela, le général Dương Văn Minh, en charge de leur arrestation, passa outre et commanda leur assassinat. A la journaliste Marguerite Higgins, il dira que Diệm était bien trop populaire parmi les Vietnamiens catholiques et les réfugiés du Nord pour être laissé en vie. Lorsque l’ambassadeur américain Cabot Lodge fut informé de la nouvelle, il cria, en français, « c’est formidable, c’est formidable »[21].
L’après Ngô
Par la suite, les généraux putschistes forment un gouvernement provisoire afin de préparer l’avènement d’un gouvernement civil élargi et plus démocratique que sous Diệm. Pourtant, aucune ligne politique commune n’est trouvée, les nouveaux maitres du pays s’opposant sur de nombreux sujets au premier rang duquel l’exécution des frères Ngô. Le gouvernement d’Union Nationale se réduit à un éventail de notables cherchant à s’accaparer le plus de pouvoir possible. Cette mésentente bloqua les capacités de l’armée à réagir efficacement contre les guérilleros communistes. L’ensemble des dispositifs de sureté mise en place par Nhu fut dissous au plus grand bonheur des agents du Nord. Une chasse au sorcière fut menée contre les fonctionnaires et dignitaires réputés être loyaux au président déchu, faisant passé au second rang l’objectif commun de lutte contre le Nord-Vietnam.
S’agissant de la société sud-vietnamienne, le constat est le même : une fois la main de fer des Ngô disparus le pays se relâche et se morcelle. Les civils arrivés au pouvoir via le coup d’état militaire sont accusés d’être des fantoches par la presse, les soulèvements et immolations bouddhistes reprennent et s’intensifient, des comptes se règles contre les fonctionnaires de l’ancienne administration.
En bref, la levée des limitations de liberté institué par Diệm, la disparition du cap qu’il avait fixé pour le pays et des dispositifs de contrôle de la population sont comparables à une soupape de sécurité qui saute. Quelques semaines après le coup d’état, la CIA concluait déjà à la nécessité d’un nouveau changement de gouvernement tant la situation se détériorait[22]. Dès lors le pays commença une lente désintégration dont profitèrent les communistes et que les gouvernements à courte espérance de vie ne surent corrigés. Devant la poussée du Nord et l’alignement du Parti des Travailleurs Vietnamiens sur la ligne belliciste de Pékin lors du 9 plénum de décembre 1963 (contre la ligne « coexistence pacifique » des Soviétiques)[23], les Américains estimèrent leur « Allié » sud-vietnamien incapable de faire face et se sentir dans l’obligation d’intervenir massivement pour éviter l’expansion du communisme. Comptant

sur sa force de frappe pour mettre rapidement un terme au conflit, Washington négligea un point qui avait été central dans la gestion de la guerre par Diệm : la viabilité d’une solution politique ne dépendant pas d’une puissance étrangère et son impact sur le facteur psychologique des combattants. En faisant débarquer un large contingent de soldats, les Américains ne firent qu’alimenter la propagande communiste concernant leur impérialisme tandis que Chinois et Soviétiques tiraient, chacun de leur côté, les ficelles derrière le rideau, évitant en cela d’être sous les feux de la rampe.
Dans le cadre de la « guerre moderne » ou « guerre révolutionnaire » menée par Hanoï et mobilisant tous les ressorts d’une société, ce déséquilibre fut fatal à l’US Army sur le long terme. Incapable de briser l’invasion du Sud par l’armée du Nord malgré le déploiement de ressources à une échelle inédite (bombardement massif, napalm, défoliant, etc…), l’enlisement américain au Vietnam se transformera en défaite politique cuisante après l’attaque général du Têt 68, et ce malgré le fait qu’elle fut un revers militaire sans appel pour les communistes. Dans sa position d’intervenant extérieur et du fait de l’absence d’un pouvoir vietnamien ferme à Saïgon, le tout lié avec les troubles raciaux et anti-conscription que connaissent les Etats Unis, la guerre du Vietnam y devient extrêmement impopulaire. Nixon tentera bien de la « vietnamiser », comme les Français durant « l’Indoch’ », dans le but d’atténuer cet aspect mais le mal est déjà fait et l’Oncle Sam sera contraint de quitter le théâtre des opérations en 1973 puis de voir le régime sud-vietnamien disparaitre en 1975.
[1] Nguyễn Ngọc Châu, L’histoire politique des deux guerres 1858 – 1954 et 1945 – 1975, Nombre 7 éditions, p. 329
[2] Ibid.
[3] Wehrle, Edmund F., « ‘A Good, Bad Deal’: John F. Kennedy, W. Averell Harriman, and the Neutralization of Laos, 1961-1962 » (1998). Faculty Research & Creative Activity. Eastern Illinois University.
[4] Nguyễn Ngọc Châu, L’histoire politique des deux guerres 1858 – 1954 et 1945 – 1975, Nombre 7 éditions, p. 345
[5] Ibid., p.347
[6] Ibid., p.348
[7] L’international Control Commission ou ICC est l’organisme mis en place suite au traité de Genève prévoyant la partition du Vietnam en deux partis. Elle était composé d’un représentant issu d’un pays membre du camp capitaliste, un représentant du monde communiste et un troisième issu des non-alignés, à savoir : le Canada, la Pologne et l’Inde.
[8] Nguyễn Ngọc Châu, L’histoire politique des deux guerres 1858 – 1954 et 1945 – 1975, Nombre 7 éditions, p. 348
[9] Ibid., p.352
[10] Ibid., p.352
[11] Voir http://www.truclamyentu.info/the-environmental-activist/vietnamwar_the-most-ven-thich-quang-duc.html et A death in november: america in Vietnam, 1963, de Ellen J. Hammer
[12] Nguyễn Ngọc Châu, L’histoire politique des deux guerres 1858 – 1954 et 1945 – 1975, Nombre 7 éditions, p. 353
[13] S’il est connu à travers le monde pour ses demandes démocratiques, Thich Tri Quang est un personnage ambigu qui participera au travail de sape des gouvernements successifs de la République du Vietnam. Il s’engagea au côté du Viêt Minh durant la guerre d’indépendance. D’après plusieurs généraux de l’ancien régime de Saïgon, le bonze serait un agent lié à la fois aux services secrets nord-vietnamiens et à la CIA. Ceci expliquerait pourquoi l’ambassade américaine lui a offert l’asile alors que la police des Ngô réprimait les mouvements bouddhistes subversifs et pourquoi il ne fut nullement inquiété par les communistes après 1975 malgré l’influence qu’il continuait à exercer sur les fidèles bouddhistes.
[14] Nguyễn Ngọc Châu, L’histoire politique des deux guerres 1858 – 1954 et 1945 – 1975, Nombre 7 éditions, p. 355
[15] Ibid., p.356
[16] Ibid.
[17] Câble du 26 août 1963 de l’Ambassade du Département d’Etat, Document 290
[18] Nguyễn Ngọc Châu, L’histoire politique des deux guerres 1858 – 1954 et 1945 – 1975, Nombre 7 éditions, p.360
[19] Ibid.
[20] Ibid., p.361
[21] Ibid., p.362
[22] Ibid.,p.364
[23] Céline Marrangé, Le communisme vietnamien-Construction d’un Etat-nation entre Moscou et Pékin, Presse de Science Po, 2012, p.312