« Nouveau miracle asiatique[1] », « l’étoile brillante de l’Asie[2] », « l’économie que la covid-19 n’a pas pu stoppée[3] » telles furent les formules utilisées par la presse internationale pour saluer les performances de l’économie vietnamienne en pleine crise sanitaire. En plus d’être le seul pays du sud-est asiatique à afficher une croissance positive pour l’année 2020 (2.9%[4]), le gouvernement vietnamien pouvait se targuer d’une gestion de l’épidémie à la fois efficace et transparente[5] (au moins jusqu’à juillet 2021 et le variant delta). Pour autant, la stratégie « zéro cas » d’abord envisagée par les autorités dut être abandonnée après l’explosion des contaminations à Hanoï et Ho Chi Minh-Ville cet été[6]. De la même façon, et ce malgré les bons résultats affichés, le Vietnam a connu ses plus grosses difficultés économiques depuis l’ouverture du pays en 1986[7] du fait de la Covid 19. Au vu de ces changements décisifs et alors que le variant Omicron semble jeter l’ombre de nouvelles quarantaines sur les pays occidentaux et asiatiques, il convient de se demander de quoi le futur de l’économie vietnamienne sera fait. Afin de saisir la teneur des changements qu’a engendré l’apparition du coronavirus sur la scène internationale, il faut d’abord de retracer le parcours économique du Vietnam depuis le « Renouveau » (« Đổi mới » en vietnamien) ouvert en 1986 lors du sixième congrès du Parti Communiste Vietnamien (PCV) (I) a.) puis de définir le modèle qui prévalait jusqu’à l’avènement de la crise sanitaire (I)b.). Sur cette base et à l’aune de ce que le contexte permet ou non, il conviendra d’analyser les impacts sanitaires dont souffrent les agents économiques au Vietnam (II) a.) avant de conclure sur les mesures qui pourraient permettre à Hanoï de se relancer au mieux (II) b.).
I) Le Vietnam ante-Covid : objectif à long terme et modèle économique.
A) La dynamique économique initiée par le Doi Moi .
Lorsque se réunit le VI plénum du Parti Communiste Vietnamien (PCV) en décembre 1986, la situation du pays est critique, voire intenable. Le Vietnam fait en effet face à plusieurs problèmes graves et disposent de peu de ressources pour y faire face.
Sur le plan externe d’abord, le Vietnam souffre d’un isolement diplomatique cruel car à la fois sous le coup d’un embargo américain depuis la fin de la guerre de réunification en 1975 et de l’hostilité chinoise depuis que les deux pays se sont affrontés entre le 17 février et le 16 mars 1979. S’ajoute à cela la mauvaise image qu’avait propagée à l’international la crise migratoire de 1979 connu sous le nom de « boat people » qui vit près de 1.6 million de citoyens vietnamiens quitter le pays en 10 ans et ce dans des conditions affreuses[8]. Aussi, ne restaient comme partenaires diplomatiques et économiques à Hanoï que le « grand frère soviétique » et ses pays satellites d’Europe de l’Est, ce qui, d’un point de vue géographique n’allait pas sans difficultés étant donné l’éloignement[9]. Cette entente sera bouleversée par la fin de l’ère Brejnev et le début des réformes d’Andropov puis de Gorbatchev appelant à davantage de transparence politique tandis qu’Hanoï maintenait une ligne marxiste-léniniste « orthodoxe[10] ».
Sur le plan interne ensuite, le pays souffrait des conséquences de 50 ans de guerre quasi-ininterrompue : infrastructures de tout type insuffisantes en raison des destructions, moyens de productions détruits ou obsolètes, problème de qualification de la main d’œuvre, rationnement, fuite des cerveaux, etc… Cette précarité de la subsistance pour la population se doublait de lourds problèmes de gestion par les autorités publiques menant très souvent à la contrebande et à la corruption. En bref, les fonctionnaires détenant les réseaux de production ou de distribution organisaient le marché noir à leur propre profit. A noter enfin que le processus de collectivisation des moyens de production dans le sud après la réunification du pays était laborieux, ce qui posait également des problèmes en matière de productivité, surtout dans le secteur agricole.
L’ensemble de ces facteurs a conduit à un mécontentement généralisé et à une chute de la légitimité du Parti y compris dans ses propres rangs. On peut noter ici l’exemple de Mme Binh, petite fille du leader nationaliste Phan Chu Trinh et représentante du Viêt Cong lors des négociations de Paris tenant au retrait des troupes américaines, qui, dans Ma Famille, Mes Amis, Mon Pays décrit assez crument ces difficiles années[11]. Devant le péril éminent, les dirigeants du PCV décident donc d’opérer un changement drastique dans le domaine économique, appelé « Đổi mới » (« Renouveau » en vietnamien), en privatisant le domaine agricole et une partie des entreprises détenues par l’Etat ainsi qu’en garantissant la propriété privée et la liberté d’entreprendre (y compris pour les étrangers). S’en suivra une ouverture diplomatique tous azimut que nous marquerons ici par les pierres blanches de la normalisation des rapports avec Pékin en 1991 puis avec Washington en 1995, l’intégration de l’ASEAN en 1995 et de l’OMC en 2007.

Pour autant, devant les effets subversifs des réformes lancées par Gorbatchev en URSS– et notamment les manifestations étudiantes sur la place Tienanmen en 1989 – le gouvernement vietnamien n’entend pas doubler ces réformes économiques de réformes politiques drastiques. Le Parti reste le seul acteur politique toléré, ce qui implique le maintien des monopoles publiques sur les médias et certaines secteurs stratégiques de l’économie, ouvrant la voie à l’« économie de marché à orientation socialiste».
B) Le modèle vietnamien d’« économie de marché à orientation socialiste ».
D’abord introduite dans la constitution de 1992, cette conception économique recouvre en fait une réalité relativement simple à décrire et apparentée aux réformes entreprises en 1976 en Chine Populaire par Deng Xiaoping qui résumait l’abandon du système collectiviste avec la maxime suivante : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, s’il attrape la souris, c’est un bon chat »[12].
Il s’agit ainsi de mettre au service du PCV le potentiel économique vietnamien régénéré par les flux de capitaux étrangers. Pour ce faire, les dirigeants vietnamiens vont implanter le modèle dit du « vol d’oies sauvages[13] ». Théorisé par le japonais Kaname Akamatsu en 1937, ledit modèle a été mis en place par tous les « tigres » et « dragon » asiatiques suite à la seconde guerre mondiale et offrait donc un volume conséquent d’expériences exploitables pour les planificateurs du PCV[14].
Le « vol d’oies sauvages » est une allégorie de la stratégie suivante : pour industrialiser progressivement un pays, il faut commencer par produire en masse des biens à faible ou moyenne valeur ajoutée mais nécessitant une grande quantité de main d’œuvre[15]. Il s’agit ensuite de réinvestir les bénéfices ainsi perçus afin de procéder à une montée en gamme de la production vers des biens à valeur ajoutée plus importante. En plus des bénéfices tirés de la valeur ajoutée par la fabrication, de l’export et des salaires versés, le pays hôte peut assortir l’autorisation à investir de diverses conditions tenant à l’emploi, aux conditions de travail, à la formation des employés ou aux transferts de technologies ou de savoir-faire[16]. Evidemment ce système repose sur deux conditions pour fonctionner : l’attraction des Investissements Directs Etrangers (IDE) et l’export des biens produits[17].

Le moins que l’on puisse dire c’est que le Vietnam excella dans l’application de ces principes, affichant de très bonnes performances économiques même en temps de crise économique (1997 crise asiatique et 2008 onde de choc de la crise des subprimes aux Etats Unis). Le pays s’est ainsi progressivement éloigné de la place qu’il occupait dans le classement des 10 pays les plus pauvres au monde en 1990. Pour citer quelques chiffres, le PIB vietnamien atteignait péniblement les 14 milliards de dollars en 1985 tandis qu’il caracole à plus de 271 milliards pour l’année 2020[18]. Dans la même veine la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté (moins de 1 dollar/jour) est passée de 52% en 1992 à 1.80% en 2018[19].
Il faut dire qu’en plus d’utiliser un modèle qui a fait ses preuves, le Vietnam dispose de plusieurs atouts permettant ce développement parfois qualifié de miraculeux : population jeune, main d’œuvre abondante et peu cher donc faible coût de fabrication, stabilité politique, position géographique avantageuse (proximité de la Chine et de pays dit « développés » tels que le Japon ou la Corée), façade maritime étendue. Le pays se positionne même en tant que « Chine+1 » dans le sens où il offre tous les avantages que son voisin du nord aux investisseurs étrangers sans leur faire courir le risque d’une mesure de rétorsion diplomatique suite à des différents d’ordre politique[20]. Ainsi, et même si cela n’a rien d’automatique, certaines manufactures ont été déplacées de la Chine vers le Vietnam après le début du bras de fer commercial sino-américain voulu par Donald Trump en réponse à ce qu’il estimait être une politique commerciale déloyale de la part de Pékin.
A noter que ce système présente malgré tout des failles et des inconvénients. Sans rentrer plus avant dans les détails, on notera que comme tout système tourné vers l’export, les chaines de valeurs nationales se concentrent autour des grandes métropoles intégrées au circuit global, créant de ce fait une disparité de revenus par habitant relativement marquée en fonction de la position géographique[21]. Ces inégalités sont souvent aggravées par le déficit d’infrastructures, surtout dans les zones montagneuses du Centre et du Nord[22]. Pour pallier ces problèmes, le gouvernement mise sur l’implantation de « zones franches » (procédures administratives simplifiées et avantages fiscaux pour les investisseurs étrangers dans la zone). L’autre inconvénient majeur de ce type d’économie extravertie est sa dépendance aux fluctuations de l’économie globale aussi bien en début de chaine, lorsqu’il s’agit d’acheter des matières premières pour les besoins industriels, qu’en fin étant donné que sans débouchés commerciaux, il est impossible d’écouler le surplus de biens produits. Le Vietnam souffre notamment d’une trop grande dépendance vis-à-vis de son grand voisin du nord en termes d’approvisionnement[23], ce qui ne manque pas de régulièrement créer des remous au sein d’une opinion publique très souvent hostile à la Chine Populaire et accusant parfois la direction vietnamienne d’une trop grande complaisance à son égard[24].
Avant de voir en quoi la Covid 19 a bouleversé ou non cette stratégie, occupons-nous à dresser un instantanée de la situation économique du pays en 2019, c’est à dire avant l’apparition de la crise sanitaire. Le Vietnam affichait une croissance de 7% (dans la moyenne des résultats des années précédentes)[25] reposant sur deux piliers principaux : l’attraction des capitaux étrangers (près de 11 milliards de dollars, +86.2 comparé à 2018) et l’export (264 milliards de dollars, + 8.64%, 106,8% du PIB Vietnamien)[26]. Le pays a affiché une balance commerciale excédentaire à hauteur de 11 milliards de dollars, principalement grâce aux bénéfices réalisés à l’export vers les Etats Unis (+47 milliards) et l’Union Européenne (+26 milliards) compensant les déficits enregistrés avec les pays de l’ASEAN (- 7 milliards), la Corée du Sud (-27 milliards) et la Chine (-34 milliards)[27]. Les produits manufacturés dans les secteurs du textile et de la fabrication de chaussure, de la machine-outil et de l’électronique constituent l’écrasante majorité de la valeur perçue à travers les activités d’exports[28]. A noter cette réussite tient également, mais dans une moindre mesure, à l’export de produits agricoles, notamment vers la Chine[29]. Le tourisme représentait quant à lui 9.2% du PIB.
Une fois ces quelques repères posés appliquons nous à étudier les effets de la crise sanitaire sur l’écosystème économique vietnamien.
II) Assurer la pérennité du modèle en temps de crise sanitaire.
A)De la résilience de l’économie vietnamienne et de ses limites.
Nous l’avons déjà mentionné en introduction, la presse internationale fut dithyrambique quant à la gestion vietnamienne de la crise sanitaire, à la fois efficace, rapide et transparente, permettant ainsi au pays d’afficher 2.9% de croissance pour l’année 2020 dans une Asie du Sud Est en proie à la récession. Malgré (ou à cause du ?) le changement de tactique quant à la question sanitaire ( de « zéro cas » à « vivre avec le virus »), les 2.58% de croissance obtenus en 2021[30] restent la pire performance économique du Vietnam depuis le Đổi mới . Avec la menace que fait planer le variant Omicron, il semble peu probable que la situation s’améliore de façon sensible en 2022.
Du fait de son économie extravertie le Vietnam a souffert, souffre et souffrira à la fois des problèmes d’approvisionnement en matières premières – venant notamment de Chine – mais aussi et surtout d’une baisse tendancielle et à long terme de la consommation dans les pays qui constituent ses principaux débouchés commerciaux en raison de leurs propres difficultés économiques. Cela entraine ainsi un manque à gagner à l’export pour les agents économiques au Vietnam mais aussi des surcouts tenant à la logistique et à l’approvisionnement[31]. Evidemment, ces perspectives impactent directement les IDE étrangers dans le pays.
Le gouvernement vietnamien a donc également fait montre de célérité dans le domaine économique en mettant très vite en place un groupe de travail chargé de contrer les effets néfastes de la Covid 19 sur l’économie par le maintien de l’attractivité du pays pour les multinationales afin de sécuriser l’afflux d’IDE et de stimuler les exportations[32]. A ce titre, les relatives bonnes performances du Vietnam quant à la gestion de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques ont forgé une solide image de marque pour le pays. Il ne devrait donc pas y avoir de problèmes majeurs dans ce domaine à court et moyen terme. En effet, malgré les baisses successives enregistrées dans la captation des IDE (-2% en 2020[33] et -1.2% en 2021[34]), les promesses d’investissement sur l’année ont bondi de 9.3%[35]. A noter ici que plusieurs succès ont déjà été constatés avec le déplacement par Inventec (assemblage des airpods) ou Nintendo (jeux vidéo) de plusieurs unités de production vers le sol vietnamien.
S’agissant des exportations, les divers abattements fiscaux ou reports de délai de paiement de taxe semble également avoir permis de sauver de la faillite quelques entreprises et de stimuler la production tournée vers l’exportation. Mais soyons clair : l’ouverture et la dépendance envers le marché global ne laissent aux dirigeants vietnamiens guère de leviers pour juguler les fluctuations de l’économie internationale et leurs impacts profonds sur l’économie nationale[36]. Si le chômage continue d’augmenter aux Etats Unis et provoque donc le ralentissement de la consommation sur ce marché, il n’est rien que le PCV puisse faire. Nous verrons cependant dans la section suivante que cette situation présente un certain nombre d’opportunités à saisir pour les agents économiques vietnamiens. Malgré tout, la croissance des exports a atteint ainsi près de 5% pour 2020[37].
En contraste avec les journalistes étrangers, les propos tenus en langue vietnamienne furent bien plus mesurés quant à la situation économique. En effet, l’année dernière près de 31,8 millions des 54 millions d’actifs (soit 59%) ont vu leurs revenus chuter à cause de la Covid-19[38], et ce, malgré seulement 22 jours de confinement total et une aide gouvernementale de 27 trillions de Dông (soit environ 970 millions d’euros)[39] avant les confinements stricts de Hanoï puis de Ho Chi Minh-Ville suite à l’irruption du variant Delta au Vietnam dans le courant de l’été 2021. 35 000 banqueroutes ont été enregistrées dans le même laps de temps, certaines entreprises n’ayant pu avoir accès au 16 trillions de Dông de soutien aux entreprises[40]. Rappelons d’ailleurs ici que 20 à 30% de l’économie vietnamienne est constituée d’activités informelles, empêchant de fait certains particuliers d’accéder aux aides publiques[41]. Il est ainsi assez difficile d’estimer dans quelle proportion la pauvreté, passagère comme durable, a progressé au Vietnam. Si ce phénomène de stagnation/marasme sociale devait se maintenir, la fin de la croissance rapide du marché immobilier entraînerait également un risque grandissant de multiplication des créances douteuses dans le bilan des banques vietnamiennes[42].
Cette contraction générale du pouvoir d’achat fait également peser des menaces sur la santé de la consommation intérieure (68% du PIB) qui fut le véritable pilier de l’économie vietnamienne en ces temps d’incertitude[43]. Le pays a pu en cela compter sur sa classe moyenne émergente, sur la bonne anticipation de la situation par la population[44] ainsi que sur l’envoi conséquent de capitaux de la diaspora (12.5 milliards de dollars en 2021, +10% comparé à 2020[45]) pour absorber une partie de la production impossible à exporter. Notons également que les plans de soutien de la consommation par le gouvernement sont rendus possibles par un endettement public relativement faible ainsi que par une épaisse réserve de devises issues du commerce extérieur[46].
Malheureusement, la consommation nationale, se focalisant d’abord sur les produits essentiels, ne peut se substituer à la demande internationale dans le secteur touristique (12.4% du PIB en 2020) qui demeure sans doute le secteur le plus sinistré avec un recul de près de 57% des recettes annuelles en 2019 et entre 35 et 48% en 2020. Comme pour les exportations, le gouvernement ne dispose que de très peu de moyens d’action dans ce domaine. Suivent ensuite le secteur de la culture et des arts (-23% depuis le début de la crise) et celui de la vente au détail et en gros (-11.3%)[47]. On notera ici que ce dernier chiffre est à nuancer dans le sens où une grande partie des activités de vente au détail passe désormais par le e-commerce qui a connu un véritable « boum » en 2020 (+18%) pour atteindre 11.8 milliards de chiffre d’affaire fin 2021[48]. Selon plusieurs rapports, cette tendance devrait se poursuivre peu importe les scénarios sanitaires pour atteindre environ 30 milliards de chiffre d’affaires en 2025[49].
Enfin, le variant Delta ainsi que les 3 mois de confinement strict qu’il a entrainé dans les régions d’Hanoï et d’Ho Chi Minh-Ville au cours de l’été dernier ont provoqué une situation de manque de main d’œuvre à faible coût jusqu’alors inédite au Vietnam. En effet, pris de court par l’impossibilité de maintenir la politique « 0 cas » jusqu’alors en vigueur, le gouvernement vietnamien enjoignit aux entreprises de mettre en place plusieurs mesures visant à limiter les contaminations des ouvriers (restauration et/ou repos sur le lieu de travail, prise en charge de transports du lieu de travail au lieu de vie, etc.) sous peine de se voir imposer une fermeture temporaire[50]. Beaucoup d’entreprises jugèrent ces adaptations trop complexes à mettre en place et préférèrent fermer leurs portes (voire changer de pays de production pour certaines[51]). Aussi, beaucoup d’ouvriers se retrouvèrent soudainement confinés dans les centres urbains sans salaire. Or, une grande majorité d’entre eux viennent de régions pauvres du Centre du Vietnam. Par conséquent, une fois les restrictions sanitaires levées, un grand nombre de travailleurs retournèrent dans leur province d’origine et, de peur d’être à nouveau bloqué, ne souhaite plus travailler dans les centres industriels du pays du Centre ou du Nord. Ajoutons qu’en raison du dynamisme économique de ces dernières années, la main d’œuvre vietnamienne est particulièrement volatile[52], ce qui pourrait signifier l’extension du problème de carence en travailleurs dans les secteurs les plus touchés par la Covid 19.

Une fois tous ces éléments analysés, étudions comment le gouvernement vietnamien pourrait agir pour améliorer la situation.
B) Rebondir en 2022
Les développements précédents nous permettent ainsi d’avancer que le statut et la stratégie du Vietnam ne devraient pas changer drastiquement à ce stade de la pandémie. Certes les performances ont pâtis de la fermeture des marchés d’imports et d’exports, mais cela ne remettra pas en cause le cap de la direction vietnamienne. A noter d’ailleurs que, s’agissant des deux piliers de la politique de « l’envol d’oies sauvages » – à savoir l’attraction des IDE pour faire prospérer les exportations manufacturières -, les planificateurs vietnamiens ne disposent finalement que de moyens d’action limités pour contrer une tendance de fond globale.
Sur la plan extérieur d’abord, Hanoï ne peut que chercher à maximiser ses atouts tenant à sa diplomatie et à sa bonne image. L’année a d’ailleurs bien démarré dans le cadre du 1er volet avec, entre autres, l’entrée en vigueur du RCEP en date du 1er janvier (article à venir), la visite historique d’un navire de guerre allemand à Ho Chi Minh-Ville le 6 janvier[53] (qui devrait marquer une étape supplémentaire dans la coopération entre les deux pays) ou encore l’intensification récente des échanges avec l’Inde et l’Australie. En maintenant ainsi un maximum de portes ouvertes avec une palette de partenaires divers, le Vietnam se façonne une marge de manœuvre propre à lui permettre une adaptabilité que ne peuvent revendiquer les économies concurrentes de la région.
S’agissant des bénéfices qu’il pourrait tirer de son aura sur la scène internationale, le pays peut compter et communiquer sur un taux de vaccination relativement bon (80% de la population à deux doses, d’ici à la fin du premier trimestre 2022[54]), ce qui, bien que n’empêchant pas les contaminations et les troubles qui y sont liés, permettra la mise en place d’un protocole sanitaire moins lourd que si ce n’avait pas été le cas. Dans la même veine, l’éventuelle commercialisation d’un vaccin « made in Vietnam » pourrait renforcer cette image. Partant, les frustrations telles que celles causées auprès des investisseurs par le changement soudain de politique sanitaire au sein des unités de production pourront être anticipées et dissipées sur la base d’une « feuille de route » sanitaire permettant davantage de prévisibilité et donc moins de perturbations dans les activités. C’est d’ailleurs cette visibilité qui permettrait sans doute au gouvernement vietnamien de faire revenir les travailleurs dans les centres urbains et industriels et donc d’enrayer les pénuries de main d’œuvre.
Au-delà des deux actions précédemment évoquées, la crise actuelle du Covid 19 et la pression économique internationale qu’elle engendre poussera certains secteurs d’activité à s’adapter au Vietnam, ce qui pourrait notamment se traduire par une mise à niveau des produits avec les standards internationaux. A titre d’exemple, une grande partie de la production de masques au Vietnam fut améliorer afin d’être conforme aux standards internationaux et donc exportée vers les pays demandeurs au cours de l’année 2020. Les acteur économiques vietnamiens pourraient de cette façon élargir leurs débouchés, gagner en marge bénéficiaire et multiplier leurs options en cas de nécessité à s’adapter. Cette réflexion ne touche d’ailleurs pas que la question des produits puisque l’effet de la crise touche également la structure des marchés et donc leur modèle de production. Ainsi, étant donné la composition du secteur textile/habillement vietnamien comptant 50% de petites et moyennes et petites entreprises nationales et la dynamique de concentration des moyens de production du fait de la disparition de certains acteurs, l’occasion pourrait se présenter de faire passer la production nationale du stade Cut, Make, Trim (ou CMT) au stade Free On Board (FOB), à valeur ajoutée supérieure.

Ce mouvement vers une amélioration des standards à des fins de profit n’épargne d’ailleurs pas l’action du gouvernement qui doit, selon le jargon en usage dans la presse du Parti, « améliorer l’efficacité de l’investissement public ». En effet, plusieurs choix stratégiques peuvent être faits afin d’améliorer la chaine logistique sur le territoire vietnamien afin d’y réduire un éventuel surcout et de faire mieux que la concurrence régionale sur ce point.
On peut même s’appesantir sur ce point étant donné que c’est cet aspect de la crise sanitaire qui peut avoir été le plus impacté et sur lequel le gouvernement a le plus grand rôle à jouer. En effet, comme expliqué précédemment, la légitimité du PCV repose aujourd’hui en grande partie sur sa capacité à garantir une relative prospérité à la prospérité qui, en retour, était prête à subir tous les inconvénients que ne manque pas d’engendrer une gouvernance de type marxiste-léniniste : népotisme, corruption, détournement de fonds publics, liberté d’expression restreinte, etc… Or, s’il se trouvait que les répercussions de la crise sanitaire affectent trop longtemps et trop profondément le marché intérieur et plongent une trop grande partie de la population dans le marasme économique, sans doute la stabilité politique du pays en serait-elle compromise, pénalisant ainsi les capacités d’attraction d’IDE du pays.
La direction vietnamienne dispose néanmoins ici d’un grand nombre de moyens d’action ainsi que des ressources nécessaires et a déjà su se montrer très pragmatique pour garder intact son contrôle sur la société. L’action motrice de l’administration pourrait ainsi se manifester à divers stades des processus économiques.
Certaines interventions pourraient s’en tenir à un rôle purement administratif afin de permettre de lisser les inégalités géographique nationale comme la digitalisation de l’accès aux aides aux particuliers ou aux entreprises afin a) de limiter les incertitudes et les risques, b) d’éviter l’intervention de multiples couches administratives propice à la corruption (galopante au Vietnam[55]) et c) d’accélérer le plan gouvernemental visant à abolir la condition d’enregistrement de la résidence auprès des autorités locales pour préférer la condition de citoyenneté. Hanoï pourrait également chercher à faciliter les retours de capitaux venant de la diaspora vietnamienne établie à l’étranger par divers stimuli administratifs ou fiscaux.
Le gouvernement pourrait ensuite accompagner certaines tendances économiques afin d’en maximiser les effets. On pense ici notamment au développement du e-commerce en essayant de l’orienter vers la production nationale tout en mettant en place un système fiscal à même de permettre à l’Etat d’engranger les recettes fiscales y correspondant. L’Etat joue également un rôle pivot concernant l’évolution du marché de l’emploi et pourrait mettre en place un système de formation et de recherche d’emploi (si possible numérique) afin de a) former les personnes qui le souhaite dans des secteurs en demande de main d’œuvre, b) permettre une qualification supérieure des travailleurs, préludes nécessaires à la montée en gamme de la production et c) donner la possibilité aux travailleurs de trouver ou créer un nouvel emploi facilement en cas de nouveau marasme économique.
Enfin, des outils d’intervention directs permettraient de juguler des problématiques à court terme. Mettre en place un programme de travail public dans les régions les plus sinistrés économiquement afin de procéder aux opérations de maintenance de certains ouvrages logistiques en ayant besoin ou des travaux d’intérêt public. Pour exemple, voire le programme India’s National Rural Employment Guarantee Scheme[56]. Permettre l’accès au micro crédit avec des garanties étatiques afin de soutenir les entreprises familiales – dont dépendent parfois un foyer entier – aussi bien que les entreprises du secteur informel constituent un autre axe de soutien au marché intérieur.
[1] https://www.nytimes.com/2020/10/13/opinion/vietnam-economy.html
[2] https://www.bbc.com/news/business-54997796
[3] https://www.economist.com/finance-and-economics/2021/08/30/the-economy-that-covid-19-could-not-stop
[4] https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=VN
[5] Mai TRUONG, « Vietnam’s COVID-19 Success Is a Double-Edged Sword for the Communist Party », The Diplomat, publié le 6 août 2020, disponible sur https://thediplomat.com/2020/08/vietnams-covid-19-success-is-a-doubleedged-sword-for-the-communist-party/
[6] https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210823-covid-19-au-vietnam-confinement-strict-%C3%A0-h%C3%B4-chi-minh-ville-de-deux-semaines
[7] https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=VN
[8] Alexandra CASELLA, Managing the « boat-people » crisis: the Comprehensive Plan of Action for Indochinese Refugees, Desperate Migration Series NO.2, International Peace Institute, Octobre 2016
[9] Céline Marrangé, Le communisme vietnamien, Presse de Science Po, 2012, p.377-384.
[10] Ibid.
[11] https://vinageoblog.wordpress.com/2016/07/17/ma-famille-mes-amis-et-mon-pays-memoires-nguyen-thi-binh/
[12]https://www.lorientlejour.com/article/222418/Peu_importe_la_couleur_du_chat%252C_pourvu_quil_attrape_des_souris_%2528photo%2529.html
[13] https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2015-1-page-13.htm
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18]https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=NY.GDP.MKTP.KD.ZG&codePays=VNM&codeTheme=2
[19]https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays/?codeStat=SI.POV.DDAY&codePays=VNM&codeTheme=2
[20] Les exemples se multiplient ces dernières années avec les Ouïghouts du Xinjiang ou la répression des manifestations pro-démocraties à Hong-Kong.
[21] Jean-Phillipe EGLINGER, « Vietnam : les autorités face aux enjeux économiques et sociaux de l’après Covid.», Asia Centre, publié le 24 avril 2020
[22] Ibid.
[23] https://www.pwc.com/vn/en/publications/2020/pwc-vietnam-covid-19-vietnam-economy-and-export.pdf
[24] https://thediplomat.com/2018/06/vietnam-mass-protests-expose-hanois-china-dilemma/
[25] https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.KD.ZG?locations=VN
[26] https://www.pwc.com/vn/en/publications/2020/pwc-vietnam-covid-19-vietnam-economy-and-export.pdf
[27] Ibid.
[28] Ibid.
[29] Ibid.
[30] https://asia.nikkei.com/Economy/Vietnam-real-GDP-growth-slows-to-2.58-in-2021-as-pandemic-drags
[31] https://www.pwc.com/vn/en/publications/2020/pwc-vietnam-covid-19-vietnam-economy-and-export.pdf
[32] Chi HIÊU, Thành lập tổ công tác đặc biệt về thu hút các tập đoàn đa quốc gia, publié le 23 mai 2020, disponible sur https://thanhnien.vn/tai-chinh-kinh-doanh/thanh-lap-to-cong-tac-dac-biet-ve-thu-hut-cac-tap-doan-da-quocgia-1227852.html?fbclid=IwAR1gbDV-seII-JqU8X81WCp6ogDmFbYVvolRnuzFEmOh4BN6T9piJe7FwYo
[33] http://hanoitimes.vn/actual-fdi-in-vietnam-down-2-to-us20-billion-in-2020-315636.html
[34] https://tradingeconomics.com/vietnam/foreign-direct-investment
[35] Ibid.
[36] https://journals.eco-vector.com/2618-9453/article/view/87071
[37] https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.KD.ZG?locations=VN
[38] Jean-Phillipe EGLINGER, « Vietnam : les autorités face aux enjeux économiques et sociaux de l’après Covid.», Asia Centre, publié le 24 avril 2020.
[39] https://www.mckinsey.com/featured-insights/asia-pacific/emerging-from-the-pandemic-vietnam-must-position-itself-for-recovery
[40] https://euraseans.com/index.php/journal/article/view/285/324
[41] Jean-Phillipe EGLINGER, « Vietnam : les autorités face aux enjeux économiques et sociaux de l’après Covid. », Asia Centre, publié le 24 avril 2020.
[42] Ibid.
[43] https://www.mckinsey.com/featured-insights/asia-pacific/emerging-from-the-pandemic-vietnam-must-position-itself-for-recovery
[44] Ibid.
[45] https://www.intellasia.net/remittances-to-vietnam-estimated-at-12-5-billion-this-year-1002052
[46] Jacques MORISSET, « Vietnam must boost new drivers of growth to avoid the COVID-19 economic trap », World Bank Blogs, publié le 4 août 2020, disponible sur https://blogs.worldbank.org/eastasiapacific/vietnam-must-boostnew-drivers-growth-avoid-covid-19-economic-trap
[47] https://euraseans.com/index.php/journal/article/view/285/324
[48] https://www.cekindo.vn/blog/vietnam-ecommerce-industry-booms-in-2021
[49] https://www.lecourrier.vn/le-marche-du-commerce-electronique-du-vietnam-en-plein-essor/925199.html
[50] https://asia.nikkei.com/Business/Companies/COVID-forces-Vietnam-factories-to-choose-sleepovers-or-stoppages
[51] https://www.ft.com/content/1e001928-59f5-4a45-b76e-7180ea9f7c5d
[52] https://tuoitrenews.vn/news/business/20211223/only-40-of-vietnamese-workers-willing-to-return-to-office-survey/64875.html
[53] https://thediplomat.com/2022/01/the-vietnam-germany-strategic-partnership-takes-another-step-forward/
[54] https://www.intellasia.net/omicron-stalks-se-asias-post-covid-hopes-and-dreams-998321
[55] https://www.ganintegrity.com/portal/country-profiles/vietnam/
[56] https://www.worldbank.org/en/programs/sief-trust-fund/brief/an-evaluation-of-indias-national-rural-employment-guarantee-act